“Environ 84% des bois sont des propriétés privées”, commente James Wood, chargé de communication de Forestry England, gestionnaire des forêts nationales appartenant au gouvernement britannique. De son côté, Nick Hayes, illustrateur qui milite pour l’ouverture au plus grand monde des terres anglaises, considère que 92% des bois et des champs sont interdits au public. Des chiffres qui interrogent : pourquoi donc la quasi-totalité des forêts et des champs en Angleterre sont-ils interdits au public?
Selon l’illustrateur britannique, la réponse serait d’abord à chercher dans l’histoire du pays. “Cette privatisation des terres en Angleterre remonte à l’époque du Normand Guillaume Le Conquérant. Lorsque ce dernier est devenu roi en 1066, il a redéfini le statut de nombreuses terres. Son activité préférée étant la chasse, il a notamment établi en 1079 une large zone de terre comme lieu de chasse royal, dit New Forest”, explique Nick Hayes qui a commencé à se pencher sur le sujet en 2010. C’est lors d’une balade avec sa mère pour aller observer des martins pêcheurs sur une propriété privée près d’Upper Basildon, un village du Berkshire où il a grandi, qu’un gardien des lieux les a réprimandés. L’Anglais a voulu en savoir plus.
La mesure royale a alors engendré une réorganisation des terres qui a eu pour conséquence l’exclusion des habitants y vivant. “C’est de cette façon que de premiers territoires sont devenus interdits à ‘Monsieur-tout-le-monde’. Cette première redéfinition de l’espace a alors été à l’origine d’une nouvelle philosophie de la terre : de grands ensembles pouvaient dorénavant n’être possédés que par une personne, disposant alors du droit d’exclure toutes les autres de ce territoire”, poursuit Nick Hayes.
Et selon l’illustrateur, la situation serait même pire de nos jours, car ces privatisations concernent aussi maintenant les espaces verts dans ou près des grandes villes. Aujourd’hui, la moitié du pays appartient en effet à moins de 1% de la population tandis qu’un tiers du foncier en Grande-Bretagne est aux mains de l’aristocratie. Par exemple, le Duc de Buccleuch est à la tête d’une dynastie britannique possédant 110.000 hectares, soit le double de la superficie de Birmingham, Derby et Leicester réunies.
Pour autant, selon James Wood de Forestry England, ce n’est pas parce qu’une grande majorité des terres anglaises sont privées qu’elles ne sont pas accessibles au public. “Il y a 189.000 kilomètres de droit de passage en Angleterre qui permettent au public d’accéder et de profiter de la campagne. En plus, tout le monde a le droit de se promener sur des terres en libre accès ainsi que sur des terres communes enregistrées.” En 2000, les promeneurs ont en effet remporté une belle victoire avec l’adoption de la Loi sur les zones rurales et les servitudes de passage, permettant de ne pas s’en tenir aux chemins dans les montagnes, collines et landes.
Forestry England encourage également les grands propriétaires terriens à ouvrir leurs propriétés au public. “Des aides financières supplémentaires sont accordées à ceux qui permettent au plus grand nombre d’accéder à leurs terres”, confie James Wood. En plus de cela, le gestionnaire des forêts nationales appartenant au gouvernement britannique a récemment organisé une consultation au sujet de la plantation des arbres en Angleterre, de la protection des forêts et des moyens de mettre les individus en contact avec la nature, auquel tout le monde était invité à participer. La stratégie finale résultant de cette consultation devrait être publiée début 2021 et devrait inclure des propositions de collaboration avec les propriétaires pour améliorer l’accès aux forêts.
Si les actions entreprises par Forestry England semblent aller dans le bon sens, elles ne sont clairement pas suffisantes pour Nick Hayes. “Comment voulez-vous demander à des individus de protéger et prendre soin de la nature quand ces derniers ne la connaissent pas ?”, s’indigne l’illustrateur. Lui milite en effet pour un accès universel “aux joies et aux bienfaits de la nature”, qui ont alors des répercussions directes sur la santé physique et mentale des Anglais. “La Grande-Bretagne fait face à des problèmes de santé, de stress et d’obésité. Ouvrir la nature à tout le monde améliorerait à coup sûr la santé publique. Les gens pourraient aller marcher, faire du kayak… des activités simples desquelles ils sont privés aujourd’hui”, argumente-il.
Afin d’être soutenus dans leur volonté de redéfinir le droit des Anglais à la campagne, Nick Hayes et ses amis ont créé un site internet, The right to roam. L’illustrateur a également écrit un livre, The Book of Trespass, dans lequel il décrit des itinéraires non autorisés qu’il a lui-même l’habitude d’emprunter lorsqu’il pratique ce qu’il nomme des “intrusions non violentes”. De telles actions ont alors pour but de démontrer l’injustice qui caractérise le droit foncier anglais.