Depuis mercredi 28 août, la nouvelle fait les gros titres des médias britanniques et alimente les discussions aux quatre coins du Royaume-Uni. En vacances dans sa résidence écossaise de Balmoral, la reine a consenti à la suspension du Parlement voulue par Boris Johnson. Repoussant de fait la rentrée parlementaire au 14 octobre, soit deux semaines avant que le pays ne quitte l’Union européenne. Le “oui” de la reine est donc un acte politique en soi. Un positionnement délicat, d’autant que les monarques britanniques n’ont, historiquement, pas le droit de s’ingérer dans la vie politique de leur pays. Pourquoi donc d’ailleurs ?
La première question est avant tout de savoir si Elisabeth II avait le choix de refuser la demande de Boris Johnson. Non, répond l’ancien correspondant du Monde au Royaume-Uni Marc Roche, aujourd’hui naturalisé britannique. Selon l’auteur de la biographie Elisabeth II, une vie, un règne, paru aux éditions La Table Ronde en 2012, la souveraine ne pouvait qu’acquiescer à la requête de son Premier ministre. En effet, un “non” aurait constitué une prise de position politique sans précédent dans l’histoire récente. Une situation inenvisageable pour Marc Roche car tout simplement “cela ne se fait pas”. Un état de fait donc. A en croire ce natif belge, l’unique alternative offerte à la reine était de demander un “complément d’information” au gouvernement. L’unique finalité d’une telle démarche n’aurait permis, selon le journaliste, que de repousser l’échéance de quelques jours. En somme, le consentement de la reine relevait, pour Boris Johnson, plus d’une formalité que d’une réelle mise en danger politique.
L’histoire politique britannique se caractérise par un long processus de bascule du pouvoir entre le monarchie et le Parlement. A l’origine tenancier des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, le monarque ne possède plus qu’une portion infime de ses pouvoirs d’antan. Le pouvoir législatif est en effet devenu l’apanage exclusif du Parlement, de même pour l’exécutif, aujourd’hui incarné par le Premier ministre et son gouvernement.
Resterait donc à la couronne une emprise sur “les cygnes, esturgeons, baleines vivants dans les eaux territoriales britanniques”, s’amuse Marc Roche en faisant référence à une loi datant de 1324. En dehors de cette prérogative, Elisabeth II consacre donc le plus clair de son temps à des missions de représentation. Elle est ainsi commandante en chef de l’armée, mais dépourvue du contrôle de l’arme atomique et des déclarations de guerre et de paix, son pouvoir est plutôt symbolique. De plus, son statut de gouverneur de l’Église anglicane lui permet d’influencer sur la nomination des évêques et archevêques. Son implication dans la vie associative est en outre l’un des traits caractéristiques du pouvoir royal. “Un pouvoir d’influence mais pas de pouvoir d’intervention”, résume Marc Roche, qui insiste d’ailleurs sur la posture nécessairement “passive” de la reine. “Elle réagit aux événements mais ne les prépare pas”.
Ses fonctions s’étoffent néanmoins sur la scène internationale, puisqu’elle est également chef d’État de seize des cinquante-trois pays du Commonwealth. D’autre part, la monarque est un “soft power” à elle seule rappelle Marc Roche, notamment en situation de négociations.
Pour compenser l’absence de constitution écrite, le champ d’exercice de la royauté est, encore aujourd’hui, défini par The English Constitution, un livre paru en 1867 sous la plume du journaliste-constitutionnaliste Walter Bagehot. Ce texte, suivi très scrupuleusement par tous les monarques britanniques, limite ainsi leur rôle politique à trois droits. Celui d’être informé, d’encourager et enfin de mettre en garde.
Si le premier est mis en pratique lors de l’entrevue confidentielle conduite chaque mardi après-midi à Buckingham Palace entre la reine et son Premier ministre, la frontière de ses deux autres droits est toutefois plus complexe. Marc Roche explique ainsi qu’Elisabeth II est dans son rôle lorsqu’en 2014, elle se montre opposée à l’indépendance écossaise alors même qu’un référendum est sur le point d’avoir lieu. En revanche, elle dépasserait ses fonctions en se prononçant sur le Brexit. C’est pourquoi la monarque a toujours cherché à maintenir le flou sur sa position. En témoigne la polémique sur le chapeau bleu à fleur jaune qu’elle avait porté lors de son traditionnel discours de rentrée à la Chambre des Communes. Plusieurs commentateurs y avaient vu une marque d’opposition au Brexit, mais pour Marc Roche, il s’agissait plutôt d’une stratégie politique visant à couper court aux rumeurs qui la disait favorable au “Leave”. “La reine est un personnage unificateur à la fois à l’intérieur et à l’extérieur”, conclut-il.