En Angleterre, qu’on ait tort ou raison, il faut s’excuser. “Sorry” est le mot-clé de toute interaction sociale et les citoyens de la Couronne le prononcent même entre huit et vingt fois par jour. Mais pourquoi les Anglais s’excusent si souvent et d’ailleurs, sont-ils vraiment si désolés qu’ils le prétendent ?
Pour son livre Watching the English paru en 2014 (et devenu un best-seller), une étude de la culture anglaise, l’anthropologue Kate Fox a bousculé volontairement une centaine de Britanniques afin d’observer leur réactions. 80% d’entre eux s’excusent, même s’il est évident que la collision est de la faute de l’auteure de cette recherche. Souvent marmonnées, ces excuses sont un réflexe typiquement anglais. Les étrangers bousculés par l’anthropologue ont plutôt tendance à demander si elle va bien ou à s’exclamer : “Attention !”.
Plus qu’un automatisme, faire amende honorable est une institution en Angleterre. Le livreur est en retard ? ”Je suis désolé, ma maison n’est pas facile à trouver”. Le serveur se trompe de commande ? “Pardon, j’ai dû mal m’exprimer”. Selon une étude, les Anglais disent “sorry” en moyenne huit fois par jour, jusqu’à vingt fois pour certains, mais ils affirment ne pas le penser vraiment plus d’un tiers du temps.
Les Anglais s’excusent parce que l’étiquette l’exige. Dans le pays, les règles de savoir-vivre mettent une emphase particulière sur la politesse négative. Ce concept développé par les linguistes Penelope Brown et Stephen Levinson désigne un ensemble de paroles et de gestes destinés à établir une distance respectueuse entre soi et l’autre. Il s’oppose à la politesse positive qui cherche à briser cette distance par des compliments ou des commentaires bienveillants.
Le “sorry” anglais se fonde ainsi sur une règle simple selon Kate Fox : tout contact est un dérangement potentiel et tout dérangement requiert réparation. On s’excuse donc quand on rentre dans une boutique, quand on demande l’heure, quand quelqu’un est assis sur notre manteau.
Dans certaines cultures, demander pardon sans raison est perçu comme un manque de confiance en soi. Ne pas s’excuser devient au contraire une manière de s’affirmer. En témoigne l’application américaine “Just not sorry”, qui encourage ses utilisateurs à éviter dans leurs mails l’utilisation de mots exprimant le regret. Mais en Angleterre, l’excuse est détachée de la notion de faute, elle est une formalité constitutive du tissu social. Ne pas s’excuser est donc la seule faute. “En cas de doute, excusez-vous”, recommande l’anthropologue, car “l’anglicité, c’est toujours devoir s’excuser”.