Devant la flambée des cas de coronavirus, l’Angleterre entame son second “lockdown” (d’environ un mois) ce jeudi 5 novembre. Comme lors du premier confinement, les commerces dits “non essentiels” doivent fermer ou, du moins, modifier leur activité. Parmi eux, et notamment à Londres, des établissements tenus par des Français. Témoignages.
“On va faire venir les gens sur Internet dans la mesure du possible … Mais ça ne compense bien sûr pas puisqu’en temps normal, on a Internet plus les deux boutiques.” Claire Naa, fondatrice d’une marque française de bijoux dispose de magasins à Covent Garden et Notting Hill, qu’elle se trouve malheureusement contrainte de fermer dans le cadre de ce nouveau confinement. “Dommage, mais on n’a pas le choix.” Situées dans des quartiers touristiques de Londres, ses deux boutiques ont déjà particulièrement pâti des restrictions liées à la Covid-19 : l’enseigne de Covent Garden n’a par exemple effectué, depuis le mois de juin, que l’équivalent de 10 % du chiffre d’affaires qu’elle réalise habituellement.
Bien sûr, des aides ont été mises en place pour soutenir les commerces – un système de “furlough” (chômage partiel) devrait être maintenu, les “business rates” (impôts sur les entreprises) avaient été suspendus pour l’année 2020-2021…– mais peuvent sembler bien insuffisantes au vu de certaines situations. Au point d’inquiéter Claire Naa pour la survie de ses boutiques si les choses continuent à ce rythme-là.
De leur côté, Margaux Cras et son associé Vincent Doucet, qui tiennent les salons de coiffure Margaux (l’un est situé à Kentish Town, l’autre non loin de Finsbury Park) ont fermé leurs portes mercredi 4 novembre au soir. Une situation qui n’est bien sûr pas évidente à vivre. Impression d’atteinte à la liberté d’entreprendre, sentiment d’injustice, aussi, au vu des précautions prises pour assurer la sécurité des clients – “j’ai la conviction absolue que venir chez nous était extrêmement sûr”, insiste Vincent Doucet – se mêlent, cela dit, à l’acceptation. “D’un autre côté, c’est quoi l’alternative au confinement ? L’effondrement du système de santé ?” Pour Vincent Doucet, c’est certain, il n’y a pas de choix facile.
La problématique est néanmoins très complexe pour les salons de coiffure. Car ils n’ont que peu d’alternatives à proposer, contrairement, peut-être, aux restaurateurs qui peuvent mettre en place un service de “takeaway”. “On avait notamment réfléchi à vendre des produits en ligne, des kits, par exemple, pour faire ses couleurs à la maison, indique Vincent Doucet. On avait fait des simulations mais on s’est rendu compte que ça ne vaudrait pas le coup”. Les gérants n’excluent toutefois pas de lancer de nouvelles initiatives… Si Vincent Doucet n’est pas trop inquiet, dans l’immédiat, pour l’avenir des salons – “on a toujours été prudents sur la façon de gérer les affaires et on avait des réserves financières importantes pour voir venir” – la baisse d’activité observée depuis fin août n’est pas spécialement rassurante. “Ce qui peut nous faire plus de mal à long terme, c’est que les gens aient peur ou aient moins de ressources économiques et ne puissent donc plus autant venir… Ça, c’est compliqué de prévoir.”
Petit restaurant spécialisé dans le “burger français” (au bœuf bourguignon) à Kentish Town, The Patate s’estime lui relativement “chanceux” dans ce contexte. “C’est vrai qu’on a un produit qui fonctionne bien en vente à emporter et en livraison, ce qui nous permet de rester ouverts là où d’autres doivent malheureusement fermer”, explique la responsable Anne-France Leray. Mais tout n’est pas simple pour autant car le recours aux livraisons nécessite de payer une commission aux plateformes de livraison. Un coût peu évident pour The Patate. “Les ventes directes seraient quand même plus viables pour l’entreprise.” Sur le court et moyen terme, Anne-France Leray se montre confiante sur la capacité du restaurant à s’adapter aux différentes mesures d’ouverture et fermeture auxquelles pourraient encore faire face les commerces. “Si on n’avait pas testé ce système de livraison et ‘takeaway’ pendant le premier lockdown, cela aurait pu être effrayant mais ce n’est pas le cas”. Sur le long terme, bien sûr, ce contexte fluctuant est compliqué à gérer.
Pour Jean-Marin Bolot, à la tête du pub William IV à Kensal Green, c’est l’instant présent qui s’avère, déjà, assez douloureux. Un deuxième lockdown en Angleterre, ce Français établi à Londres depuis 2006 ne voulait pas y croire. Car cela l’oblige naturellement à fermer son pub, bel établissement situé dans l’ouest londonien. Pour récupérer un peu d’argent – pour des sommes, malgré tout, dérisoires au vu de l’important manque à gagner – le Français espère pouvoir au moins proposer des bouteilles de vin en livraison via un “e-shop”, une boutique en ligne. “J’avoue que j’aimerais mieux ouvrir ce ‘shop’ au niveau du pub : les gens pourraient venir y chercher directement leurs bouteilles (fermées) et nous pourrions proposer un peu de fromage. Mais la ‘guidance’ actuelle du gouvernement interdit aux pubs de vendre de l’alcool en ‘takeaway’. C’est dommage, cela serait plus en accord avec ce qu’on fait d’habitude.” L’établissement prévoit néanmoins de proposer un “takeaway roast” le dimanche.
Concernant la partie “auberge” du William IV – le pub compte quinze chambres à l’étage – l’établissement ne peut la garder ouverte que pour les “voyages d’affaires”. “Par contre, on n’a pas la possibilité de sustenter les gens en boissons et nourriture”, précise Jean-Marin Bolot. Pas simple. D’autant qu’il faut maintenant que les quelques réguliers qui se rendaient au William IV puissent encore se déplacer sur leur lieu de travail. “L’avenir est difficile à imaginer dans ce contexte, soupire le patron qui ne s’attendait pas à ce que les choses durent autant. On se dit qu’il faut qu’on tienne le coup. Mais c’est vrai que derrière, ça demande de remettre de l’argent, de réemprunter donc c’est compliqué.”
Aucune mention n’est faite des librairies sur la page du gouvernement concernant les restrictions (les bibliothèques, en revanche, ne peuvent ouvrir que pour du ‘click-and-collect’ et l’accès à Internet) mais Isabelle Lemarchand, de la librairie française La Page à South Kensington, préfère prendre les devants et ne plus accueillir de clients à l’intérieur. L’établissement continue toutefois à travailler, même à huis clos. “Les clients peuvent bien sûr nous appeler au téléphone, commander en ligne et se faire livrer ou bien venir collecter leurs achats à la porte de la librairie.” Pour la Française, ce nouveau confinement n’est pas une surprise. “Et l’avantage, c’est que nous savons maintenant comment appréhender la question.” Grâce, notamment, à l’expérience du premier lockdown.
Bien sûr, une telle restriction de l’activité n’est pas indolore pour le magasin, qui perd dans l’immédiat le chiffre d’affaires réalisé habituellement auprès des passants, des touristes… Mais la librairie, présente à Londres depuis quarante ans, compte sur les ventes qui devraient se transposer sur Internet ainsi que sur la fidélité de ses clients “sensibles au maintien de la librairie dans leur environnement”. “Je pense que c’est un commerce essentiel dans le paysage urbain”, insiste Isabelle Lemarchand qui se dit malgré tout “confiante en l’avenir et en la capacité de la librairie à affronter un passage difficile.”