Mathilde et Flora sont encore sous le choc. Les deux étudiantes françaises ne se connaissent pas mais ont vécu presque la même situation à quelques jours d’intervalle : à leur départ pour Londres, où elles devaient se rendre pour un stage, elles se sont vues refuser l’entrée sur le sol britannique. L’une d’elles a même été avertie qu’elle serait dorénavant interdite de séjour “jusqu’à nouvel ordre”.
Flora* était excitée à l’idée de venir faire un stage de deux mois à l’étranger dans le cadre de son BTS tourisme. Après quelques recherches, et parce qu’elle a toujours été attirée par le Royaume-Uni, elle trouve enfin un hôtel de la capitale anglaise qui accepte sa demande. “Je savais que cela allait être plus compliqué de venir à Londres après le Brexit, mais ni mon école ni mon entreprise d’accueil n’ont évoqué ce problème”. Elle prend le temps tout de même de se renseigner par elle-même. “Mais je n’ai rien trouvé sur le site du gouvernement britannique stipulant que venir faire un stage était interdit. Il est simplement écrit que si l’on vient pour une durée inférieure à six mois et même dans le cadre d’une activité professionnelle ou scolaire, on n’a pas besoin de visa”.
Donc pour Flora, aucun obstacle ne s’élevait à sa venue. La convention a été signée par les deux parties, l’école et l’hôtel et la jeune femme a réservé son billet Eurostar, rempli son “passenger locator form” et commandé le kit de deux tests. Prête au départ, elle a bien évidemment réalisé son test PCR. “J’avais même pris une assurance maladie au cas où j’en aurais eu besoin sur place”. Son stage de deux mois devant débuter le 10 mai, elle avait anticipé sa période de quarantaine qui devait se dérouler au sein même de l’hôtel qu’elle allait rejoindre pour son stage. “Tout se déroulait si bien, que je me suis dit à un moment que c’était trop beau pour être vrai”.
Et elle avait raison. Vendredi 6 mai, elle se rend à Gare du Nord, pour prendre son Eurostar. “Je suis arrivée avec trois heures d’avance”, confie Flora. Si elle passe sans difficulté la douane française, c’est au niveau de celle britannique que les choses vont se corser. “La douanière m’a demandé ce que j’allais faire à Londres”, explique l’étudiante, “j’ai dit la vérité à savoir que j’y allais pour un stage de deux mois non rémunéré, j’ai présenté ma convention de stage. Elle a regardé mes documents, puis elle a coupé son micro pour parler à son collègue dans la cabine”. Flora reste plantée là pendant 10 minutes sans savoir ce qu’ils se disent. “Puis elle a rallumé son micro pour me dire qu’elle allait appeler son responsable, car les stages n’étaient plus autorisés depuis janvier sans visa”.
Un choc pour la jeune femme, qui tente d’expliquer qu’elle a pourtant vérifié sur le site du gouvernement britannique. Mais la douanière ne veut rien entendre. Elle part même avec le passeport de la Française et lui demande de patienter dans une petite salle à côté. “On était plusieurs à attendre. Il y avait un jeune homme, la vingtaine, qui devait commencer son école en septembre et qui se rendait à Londres pour des visites d’appartement, mais la douane lui a répondu que ce n’était pas une raison valable. Une autre dame était avec nous, elle devait aller garder ses petits-enfants”.
Une demi-heure, c’est le temps que Flora aura attendu. “On m’a rendu mes papiers et donné une feuille motivant le refus où était coché la case “autre raison” et où il était écrit à la main “internship visa”. J’ai aussi eu un autre document imprimé depuis le site du gouvernement où avait été stabiloté que les stages et les “working experiences” étaient non autorisés”. Flora tente de négocier. “Je lui ai dit que je n’avais pas le choix, que je devais partir”. En vain. Elle est raccompagnée à la frontière française. “On m’a mise dans l’ascenseur de sortie, qui m’a fait atterrir de l’autre côté de la gare. Je me suis sentie comme une délinquante alors que j’ai tout fait dans les règles”.
Dévastée, elle appelle ses parents, qui font demi-tour pour venir la chercher. “On s’est dit qu’on retenterait le lendemain matin, car sans ce stage mon année ne pouvait pas être validée”. Ils se rendent même à l’ambassade du Royaume-Uni située à côté de la Gare du Nord, mais on lui donne simplement un document pour faire une demande de visa. Aujourd’hui, elle est dans l’attente de voir s’il est possible de repousser le début de son stage. Mais le problème risque de se reposer. Seule solution : attendre que les déplacements entre les deux pays s’assouplissent et mentir pour passer la douane.
Mentir, c’est ce que Mathilde* regrette de ne pas avoir fait. La jeune femme s’est faite refoulée, non pas une fois mais deux fois à la douane britannique. Ce qui lui a valu une interdiction de territoire “jusqu’à nouvel ordre”. “C’est ce que m’a dit le douanier lors de ma deuxième tentative de passage”, explique l’étudiante française.
Son premier essai a eu lieu le 26 avril dernier depuis Lille. “J’avais tous les papiers nécessaires”, raconte Mathilde qui devait démarrer un stage dans la filiale londonienne d’une grande entreprise française. Tests Covid achetés, convention de stage signée avec cachet de l’entreprise, lettre expliquant la durée du stage et les missions qui lui seront confiées… Bref, elle pensait être dans les clous. Côté français, tout se passe bien, mais arrivée aux postes frontières britanniques, tout bascule. “On m’a demandé ce que j’allais faire à Londres, je leur ai dit que je venais en stage en présentant ma convention. On m’a alors répondu qu’il me fallait un visa”.
Surprenant, répond alors Mathilde. “Je leur ai expliqué que ma maître de stage et moi nous nous étions renseignées sur le site du gouvernement britannique et qu’aucun visa n’était nécessaire. C’est là que le ton a changé”. Le douanier la prévient : elle ne passera pas la frontière. “On m’a demandé mon passeport qu’on a gardé pendant près de 40 minutes. Je n’ai rien compris à ce qui se passait”. La jeune femme est “affolée”. “Je voyais plein de gens passer la douane sans véritable motif impérieux”.
Mais rien y fait. On lui demande de quitter les lieux. Ce qu’elle fait. Mais en discutant avec sa maître de stage, elles décident d’un commun accord de retenter le départ, cette fois-ci depuis Paris. C’est le 6 mai que l’étudiante se rend à la Gare du Nord avec l’espoir que son passage se fera sans difficulté. Loupé. Arrivée à la douane britannique, son passeport “ne passe pas”. “La douanière a commencé à écrire quelque chose à la main, puis m’a demandé ce que je venais faire à Londres”, rencontre Mathilde, “cette fois-ci je lui ai répondu que mon entreprise m’envoyait là-bas pour des meetings”.
Mais l’officier des douanes continue son interrogatoire. “Elle m’a demandé si j’avais déjà tenté un départ à Londres. J’ai voulu être honnête et expliqué que du coup mon stage avait été changé, que je le faisais en France mais que j’avais besoin d’aller voir l’équipe britannique, en lui montrant l’attestation sur l’honneur que ma maître de stage avait écrite”. Comme réponse, elle lui demande de se mettre sur le côté et de patienter. “Elle est restée sur son ordinateur pendant au moins une demi-heure puis un homme est venu me voir en me disant sur un ton très agressif que je ne partirai pas et que j’étais en train de tenter quelque chose de frauduleux. J’ai essayé de négocier, mais il n’a rien voulu savoir”.
Mathilde finit de patienter dans une petite pièce, gardée par des agents de sécurité, “comme si j’allais m’échapper”. Son passeport est à nouveau retenu, 45 minutes cette fois-ci. “Quelqu’un est revenu me voir me rendre mes papiers, me disant que j’avais pris les douaniers pour des idiots, que je serai interdite de séjour au Royaume-Uni jusqu’à nouvel ordre et que si je tentais à nouveau de partir cela se passerait mal”. Tout cela avant d’être “escortée” jusqu’au poste frontière français. “J’ai eu le sentiment d’être une terroriste ou une délinquante”, confie Mathilde, encore déboussolée, “c’est injuste, je me demande ce que j’ai pu faire de mal pour être traitée comme ça, je ne suis pas quelqu’un de dangereux, juste une étudiante qui voulait faire son stage. Je regrette vraiment d’avoir été honnête sur les raisons de ma venue”.
Sa maître de stage est aussi sous le choc. Cette directrice de la filiale d’une entreprise française à Londres ne comprend pas ce qui a pu se passer. “Je me suis renseignée sur le site du gouvernement français et britannique pour voir s’il y avait besoin de visa pour un stage. Mais je n’ai rien trouvé dans ce sens”, assure-t-elle. Ce qui n’est pas interdit n’est donc pas illégal. Surtout qu’un stage de deux mois non rémunéré ne devrait pas poser de problème, selon elle. “C’est vraiment dommage de priver des étudiants d’une belle expérience professionnelle mais aussi culturelle”, confie la Française qui dit se sentir responsable de ce qui a pu se passer. “C’est très violent et traumatisant comme procédé”.
Pour Nicolas Hatton, ce genre d’incidents risque de se multiplier à l’avenir. “La réaction des autorités est complètement disproportionnée et inhumaine. Détenir des jeunes, les culpabiliser, pour un simple stage ? C’est lamentable. Mais ces jeunes filles ne sont que les victimes collatérales du nouveau système d’immigration. Voilà à quoi ressemble vraiment le Brexit”, explique le co-fondateur de The 3million, association de défense des droits des citoyens européens au Royaume-Uni. Pour lui, “si le gouvernement commence à faire des exceptions pour les stagiaires ou les filles au pair, cela va ouvrir, selon lui, une brèche”. En somme, inciter à faire de la venue de stagiaires un nouveau business florissant. Dommage, pense-t-il, car cela va pousser les gens à mentir lorsqu’ils voudront venir chercher du travail en Angleterre par exemple. “Ils vont profiter de leurs trois mois de visa de touriste pour trouver un emploi puis signer un contrat avant de rentrer en France et régulariser leur situation”. Un peu comme aux Etats-Unis.
Du côté du Home Office, on rappelle que “maintenant que la liberté de mouvement n’existe plus, les citoyens européens peuvent continuer à visiter le Royaume-Uni, mais ceux qui viennent travailler ou étudier doivent remplir nos conditions d’entrée et nous les exhortons à tout vérifier avant leur départ”. Les renvoyant simplement sur le site du gouvernement.
Quant à l’Ambassade de France au Royaume-Uni, elle confirme que “les stages ne sont pas autorisés actuellement au Royaume-Uni”. “Le champ des mobilités, en particulier en faveur de la jeunesse, est réduit depuis le 1er janvier. Ainsi, les séjours pour effectuer des stages en entreprise ou “au pair” ne sont pas autorisés en l’état de la réglementation. Tout séjour de ce type est susceptible de faire l’objet d’un refus d’entrée au Royaume-Uni”, prévient également la représentation française basée à Londres.
*Prénoms d’emprunt