Comme de nombreux Français du Royaume-Uni, Mélissa*, salariée dans une agence de communication, a décidé de travailler à partir de la France dès le premier confinement en mars 2020. Mais quand la question du retour a été posée par son employeur un an plus tard, elle s’est retrouvée face à un choix cornélien : rester à Paris ou rentrer en Angleterre. « Mon responsable me demandait une date de retour au bureau à chaque appel, alors que mes missions sont, par nature, très compatibles avec le travail à distance », explique-t-elle.
Au plus les jours avançaient, au plus Mélissa était livrée à l’incertitude. « Cela dépendait de la semaine, l’équipe dirigeante me disait que je pouvais prolonger mon séjour de plusieurs mois, puis le ton se refaisait pressant la semaine d’après », raconte-t-elle. L’indécision était prégnante dans les arguments présentés par l’employeur de la Française. « On me parlait vaguement de régime fiscal, de 183 jours ou encore de culture d’entreprise. C’était très flou ! », finit-elle par conclure.
Enrobé de complexité factice, l’argument fiscal suffit à décourager les questions indésirables. La détermination de la résidence fiscale est souvent la première raison donnée pour justifier l’exigence d’un retour des salariés sur le sol britannique. Pour les employeurs britanniques, l’enregistrement des salariés au sein du système de prélèvement à la source (Pay As You Earn ou PAYE) est obligatoire, contrairement au système français de perception annuelle des impôts.
À l’étranger depuis plusieurs mois, Mélissa devait-elle payer ses impôts au Royaume-Uni ou en France ? Jessica Fazzone, avocate de droit fiscal britannique dans le cabinet Irwin Mitchell fait la lumière sur ce sujet épineux. « Si un individu passe un minimum de 183 jours au cours de l’année fiscale au Royaume-Uni, il est automatiquement considéré comme résident fiscal du pays », clarifie-t-elle. Pour ce faire, les résidents du Royaume-Uni doivent vérifier leur statut auprès du fisc britannique (Her Majesty’s Revenue and Customs ou HMRC) en complétant un test de résidence statutaire (Statutory Residence Test). Ainsi, les autorités fiscales définissent le statut des individus en utilisant pour premier critère le nombre de jours passés sur le sol britannique.
Cependant, les 183 jours ne constituent pas la seule et unique donnée dans la détermination de la résidence fiscale au Royaume-Uni. Si un individu réside au Royaume-Uni pendant une période inférieure à six mois, le « test de liens suffisants » passe en revue d’autres critères tels que les liens familiaux, un contrat de travail avec un employeur britannique ou encore la location d’un bien immobilier. Sans connaître les subtilités du système fiscal britannique, Mélissa a fait le choix de quitter son poste pour rester à Paris.
La question de la résidence fiscale entre le Royaume-Uni et la France est réglementée par la convention de double imposition signée en 2008 entre la France et le Royaume-Uni. « Dans un contexte franco-britannique, il faudra étudier les conditions de détermination de la résidence fiscale au regard de la législation nationale de chaque pays », explique Cédric Rivière, avocat de droit fiscal et spécialiste de fiscalité du détachement franco-britannique.
De plus, l’expert précise qu’un individu peut être résident fiscal de deux pays s’il répond positivement aux critères fiscaux de chacun d’entre eux. Il sera alors nécessaire de se référer aux stipulations de la convention bilatérale pour définir le lieu de résidence fiscale, à partir de constatations factuelles. Comme l’indique l’experte en droit fiscal, Jessica Fazzone, dans ce contexte particulier de “bi” résidence fiscale, les employeurs peuvent contacter l’autorité étrangère où le salarié est établi pour s’assurer que toutes les obligations fiscales sont respectées, au Royaume-Uni aussi bien que dans le pays d’accueil.
Quid des contributions sociales ? Si le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne prévoit pas d’harmonisation en matière de perception des impôts, la Commission européenne présente des règles de coordination de la sécurité sociale entre pays européens. Cédric Rivière met en garde contre les conséquences du Brexit, qui n’a pas épargné le droit fiscal à cet égard.
Lorsqu’ils faisaient partie de l’Union européenne, les Britanniques établis en France, tout comme les résidents britanniques ayant des revenus de source française, échappaient totalement ou partiellement aux contributions sociales en accord avec les règlements de coordination de l’Union européenne. « Avec la sortie de la législation européenne de coordination, les résidents français ayant des revenus de source britannique, tout comme les résidents britanniques bénéficiaires de revenus français, peuvent faire l’objet de prélèvements sociaux supplémentaires, et cela peut être plutôt désagréable », pointe du doigt Cédric Rivière.
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*La personne interviewée n’a pas souhaité communiquer son nom de famille.