La ministre de l’Intérieur britannique Priti Pratel l’avait annoncé le 22 mai dernier. Depuis le 8 juin, une quarantaine de 14 jours est imposée à toute personne se rendant au Royaume-Uni (les individus exerçant des professions, des fonctions particulières en sont toutefois exemptés). L’idée est de protéger le pays de cas de coronavirus importés alors qu’il se déconfine progressivement. Plus susceptibles de se déplacer entre pays, les Français expatriés en Grande-Bretagne sont particulièrement concernés par cette mesure. Revenus en Angleterre le 8 juin, ou peu après, certains nous ont livré leurs témoignages.
Devant reprendre son travail début juillet dans la restauration, Alyssia Beil – qui vit à Londres et était rentrée un mois en France – a dû anticiper son retour. “Sans cette quarantaine, il n’aurait pas été nécessaire que je revienne aussi tôt”, soupire-t-elle. Rentrée par l’Eurostar, la jeune femme a donc dû remplir un formulaire, qu’elle a imprimé et montré aux douanes (il est aussi possible de montrer simplement que l’on a effectué la démarche sur son téléphone).
“ll fallait que j’indique l’adresse où j’allais vivre pendant ces 14 jours, détaille-t-elle. Mais aussi la date à laquelle je me rendais au Royaume-Uni, de quel pays je venais, mon numéro de passeport, le téléphone où j’étais joignable…” Aucun autre document, mis à part le passeport, ne lui a été exigé. “On m’a posé quelques questions sur pourquoi je revenais au Royaume-Uni mais on ne m’a pas demandé de pièce particulière.” A son arrivée à Londres, Alyssia Beil s’est juste vu remettre un petit document explicatif sur la quarantaine.
La démarche a aussi été aisée pour Anne-Sophie Akil-Lucas qui rentrait en voiture (via l’Eurotunnel également), avec ses trois enfants. “En fait, c’est un formulaire par personne de plus de 18 ans. J’ai donc dû remplir le mien et y indiquer les noms et dates de naissance de mes enfants. La traversée a été vraiment simple.”
Pour effectuer ensuite le trajet depuis la gare ou l’aéroport à l’endroit de leur quarantaine, les voyageurs sont censés limiter l’usage des transports en commun. Pas toujours simple. En effet, si Maïwene Jinguenaud, autre Française vivant à Londres, a pu prendre un Uber pour rejoindre le lieu de sa quarantaine depuis St Pancras, Hortense Thomas n’a elle eu d’autre choix que de prendre le train. La jeune fille a regagné le Royaume-Uni en passant par Londres mais vit à Brighton, sur la côte sud de l’Angleterre. Elle a donc dû effectuer ce trajet par voie ferrée. “Il n’y avait pas beaucoup de monde, précise-t-elle toutefois. Et puis, j’avais un masque et du gel hydroalcoolique tout le long du trajet. Enfin, à mon arrivée, un de mes colocs, qui a une voiture, m’a ramenée à la maison.”
Une fois sur le lieu de sa quarantaine, chacun tente comme il le peut de respecter ce confinement imposé de 14 jours. Hors situations exceptionnelles, les personnes en isolation ne sont pas censées sortir que ce soit pour le travail, leurs courses et encore moins voir des amis. Alors il faut un peu s’organiser. Les colocs d’Hortense Thomas vont lui faire les courses. La quarantaine n’inclut en effet que les personnes qui ont voyagé, pas les autres occupants de la maison s’il y en a (bien sûr, les individus en confinement sont censés garder certaines distances avec les personnes qui sortent). Hortense est étudiante et peut travailler sur son mémoire depuis son domicile. Tout comme Anne-Sophie Akil-Lucas, enseignante à Birmingham qui est en télétravail. Pour les courses, c’est son mari – qui, lui, n’a pas bougé d’Angleterre – qui s’en charge.
Bien sûr, le moral peut en prendre un coup. Notamment pour Maïwene Jinguenaud, étudiante revenue travailler dans un pub en juillet et qui n’a rien à faire. “Honnêtement, si je respecte la quarantaine, c’est purement parce que je crains l’amende (les autorités anglaises parlent d’une amende de £1000 pour tout contrevenant, ndlr). Tout ça est ennuyeux, j’aimerais bien passer la journée à faire autre chose, à voir des gens.” De son côté, Hortense Thomas apprécie le fait d’avoir “un grand jardin”, même s’il lui tarde de retrouver la plage à Brighton. “La quarantaine, en ce moment, n’est pas le plus simple, surtout avec la réouverture des magasins cette semaine. Et le fait que je ne sois pas convaincue de son importance à ce stade de l’épidémie n’aide pas”, commente pour sa part Anne-Sophie Akil-Lucas.
Certains, enfin, sont quand même sortis. Revenu deux jours pour déménager et quitter définitivement l’Angleterre, Olivier (*), à qui la quarantaine s’appliquait quand même, est allé s’acheter à manger. “Personne ne pouvait y aller pour moi”, explique-t-il. Le gouvernement précise d’ailleurs qu’il est possible de sortir s’acheter à manger lorsqu’on est en quarantaine en Angleterre mais uniquement en cas de “circonstances exceptionnelles”, dans le cas où la personne n’aurait pas pu “s’arranger pour se faire livrer”. Le jeune homme s’est par contre rendu à une soirée. “Je suis sorti chez des amis parce c’était une soirée d’ ‘au revoir’ donc, là, effectivement je n’ai pas respecté la quarantaine.”
Une quarantaine que ne respecte pas non plus à la lettre Clarisse (*) qui explique faire ses courses et sortir courir alors que l’exercice physique, en quarantaine, doit théoriquement se faire à la maison ou dans son jardin. Mais aux yeux de la jeune femme, ce n’est pas elle, rentrant de France – où il y a eu a priori moins de cas – qui présenterait un risque pour le Royaume-Uni. “Je trouve qu’en France, les mesures ont été plus strictes et sont plus respectées, explique-t-elle. Et puis, je ne pense vraiment pas avoir pris de risques lorsque j’y étais : mon père est plutôt âgé et j’ai pris beaucoup de mesures pour le protéger… En fait, je pense que si j’attrape le virus, ce sera plutôt en Angleterre qu’en provenance de France.”
Un avis que partage Hortense Thomas qui, bien que comprenant le raisonnement – “le Royaume-Uni a encore pas mal de cas donc ça paraît logique de vouloir limiter le nombre de gens qui viennent” –, s’interroge toutefois sur le fait d’appliquer cette mesure à des gens ayant pris des précautions et venant notamment de France “où la crise a été bien gérée”. Enfin, l’idée de se retrouver confinée avec des colocs qui, eux, “peuvent sortir” la laisse assez perplexe.
Maïwene Jinguenaud, pour sa part, ne peut s’empêcher de voir un petit côté “brexiter” dans cette approche qui cible les gens venant de l’étranger (les Britanniques retournant en Grande-Bretagne sont toutefois aussi concernés par la quarantaine) et trouve ces mesures lourdes par rapport à la “légèreté” du confinement qui a été appliqué en Angleterre. Enfin, pour Caroline (*), qui est exemptée en tant que “key worker” mais dont le mari doit s’isoler – “mais, honnêtement, je ne suis pas trop sûre qu’il continue à respecter la règle“, lance-t-elle –, la mesure est surtout là pour sauver l’économie locale car les gens, restreints par la quarantaine, seront dans l’obligation de consommer sur place.
Des contrôles pour faire respecter cette mesure sont censés avoir lieu. Public Health England, l’organisme concerné pour la partie anglaise (l’Ecosse a par exemple son propre dispositif pour la quarantaine), a indiqué qu’il procéderait par sms et appels téléphoniques et que les contacts des gens suspects seraient transmis à la police. Martin Hewitt du NPCC (National Police Chiefs’ Council) a toutefois précisé que l’approche serait “proportionnée aux circonstances” et que la police continuerait à “expliquer, encourager et, seulement en dernier recours, à faire appliquer la règle.” Mais nos Français interviewés n’ont, pour l’heure, reçu aucun appel ou sms de contrôle.
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(*) le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat de la personne