Depuis jeudi 4 avril, les usagers du métro londonien découvrent des “ovnis” dans les travées de la station Canary Wharf sur la Jubilee Line. En effet, trois bornes y ont été installées pour rendre plus agréable la vie des utilisateurs de l’Underground. Créées par la start-up française Short Édition, ce sont en fait des distributeurs d’histoires courtes (de soit 1, 3, ou 5 minutes de lecture) et gratuites. Leur objectif est de (re)donner le goût de lire aux Londoniens à l’heure où 36% d’entre eux n’ont pas eu le temps de terminer un livre en 6 mois, selon une étude récente.
Christophe Sibieude, l’un des quatre fondateurs de Short Edition, définit son entreprise comme un “éditeur propulseur de littérature courte”, c’est-à-dire d’histoires nécessitant moins de 20 minutes de lecture telles que des micro-nouvelles ou des poésies. Selon lui, cette idée est une innovation qui ne l’est pas vraiment. “Si c’est novateur en France, cela l’est un peu moins dans le monde anglophone où les short-stories sont appréciées à leur juste valeur, et ce depuis longtemps”. Le Grenoblois déplore les a priori et la place réservés aux récits courts dans le monde littéraire français où “on préfère un livre de 200 pages à 20€ plutôt qu’un livre de 20 pages à 2€, car un auteur d’histoires courtes est moins reconnu que celui qui écrit des formats plus longs”.
Lancée en février 2011, cette maison d’édition d’un genre nouveau réunit désormais 300.000 lectrices et lecteurs sur la plateforme du site. C’est seulement à partir de 2015 que les bornes distribuant les nouvelles sur papyrus font leur apparition, et c’est la mairie de Grenoble d’où sont originaires les fondateurs et fondatrices qui accueille la première. Short Édition se distingue du reste des éditeurs traditionnels par son caractère communautaire puisque les textes choisis pour être distribués sont le fruit d’un processus de sélection auquel participent les abonné.e.s de la plateforme les plus assidu.e.s.
Aujourd’hui, la start-up a fourni plus de 250 bornes à travers le monde. Si les deux tiers d’entre elles sont situées en France, le tiers restant se trouve entre l’Australie, Hong Kong ou la Guinée. Toutefois, la majorité des bornes ont été exportées vers les Etats-Unis avec plus de 70 réparties sur le vaste territoire yankee. Cette expansion principalement outre-Atlantique s’explique, en partie, par l’intérêt appuyé des médias et du public américain dès le lancement des distributeurs il y a quatre ans. En effet, “sur les 400 articles parlant de notre petite entreprise française, une centaine provenait de médias américains”, confie Christophe Sibieude.
Du fait de cette exposition médiatique aussi forte qu’inattendue au pays de l’oncle Sam, Short Édition a pu rencontrer des clients de choix. En janvier 2016, à la lecture d’un article du New Yorker, Francis Ford Coppola contacte Short Edition pour exprimer son intérêt quant à l’activité de la start-up française et son souhait d’installer des bornes dans ses cafés de San Francisco. Le réalisateur américain est un amoureux de la littérature courte comme il le laisse entendre : “Un bon film commence toujours par une histoire courte”. En effet, selon Christophe Sibieude, Francis Ford Coppola conseille une bonne lecture plutôt que des anxiolytiques pour calmer le stress. Après plusieurs collaborations, ce dernier a gardé une bonne relation avec l’entreprise française au point d’en devenir un actionnaire symbolique.
Outre certains cafés et restaurants, Short Édition travaille surtout en collaboration étroite avec le monde universitaire américain. Présente dans une dizaine d’universités dont Harvard, la société travaille avec les professeurs pour organiser des ateliers d’écriture créative afin de promouvoir la lecture et l’écriture dans un pays où le digital est omniprésent. Afin d’être au plus proche de leurs bornes et collaborateurs, la start-up a décidé d’installer des bureaux ainsi qu’une équipe à Philadelphie à partir de janvier 2020.
Au vu d’un tel développement loin de l’Europe, on aurait tendance à se demander pourquoi l’entreprise n’installe sa première borne à Londres qu’en avril 2019. “Au moment du lancement, les médias britanniques ne nous avaient pas accordé autant d’attention. Nous ne savons toujours pas expliquer pourquoi l’intérêt venait des Etats-Unis et non du Royaume-Uni”, confesse le co-fondateur de la start-up. Mais maintenant que le premier pas est fait, les Français désirent désormais continuer à s’étendre dans le pays où les prestigieuses universités britanniques pourraient représenter un marché conséquent. Une chose est sûre, pour Short Édition, l’histoire s’annonce plus longue que celles qu’elle promeut.