Pour une adaptation, c’est une adaptation ! Vous connaissiez le Tartuffe de Molière de 1669 ? Oubliez tout : faites place au Tartuffe 2018 de Christopher Hampton et Gérald Garutti, actuellement au Theatre Royal Haymarket de Londres. Pour faire revivre ce personnage populaire, le duo franco-britannique déménage la célèbre comédie satirique de France aux Etats-Unis et lui offre une dimension moderne et décalée, dans un mélange de français et d’anglais. Une première à Londres.
Dans la version originale, Orgon est tombé sous la coupe de Tartuffe. Ce dernier réussit à le manipuler en singeant sa dévotion infinie à la religion, à tel point qu’il en est devenu le directeur de conscience de l’homme d’affaires. Il se voit alors proposer d’épouser la fille de son bienfaiteur, alors même qu’il tente de séduire Elmire, la femme d’Orgon. Mais il est démasqué grâce à un piège tendu par cette dernière afin de convaincre son mari de l’hypocrisie de Tartuffe. Celui-là veut ensuite chasser Orgon de chez lui grâce à une donation inconsidérée que celui-ci lui a faite de ses biens. En se servant de papiers compromettants qu’Orgon lui a remis, il va le dénoncer au Roi. Erreur fatale : le Roi a conservé son affection à celui qui l’avait jadis bien servi lors de la Fronde. Il lui pardonne et c’est Tartuffe qui est arrêté.
Dans la version adaptée, on bascule en 2018 : Orgon est toujours un riche homme d’affaires, magna des médias, mais cette fois-ci installé à Los Angeles. Tartuffe est devenu son gourou évangéliste (il est tatoué et se promène avec son chapelet à la main) au point que l’entrepreneur lui offre sa fille à marier. C’est la goutte qui fait déborder le vase pour la famille, qui décide de comploter pour faire tomber l’imposteur. A la fin, ce n’est pas le Roi qui arrête Tartuffe, mais un agent du gouvernement agissant au nom du Président des Etats-Unis lui-même.
Le modernisme de la pièce apporté par le duo Christopher Hampton et Gérald Garutti, ainsi que leur audace à adapter un grand classique français, est sans nul doute ce qu’il faut retenir de ce Tartuffe nouvelle version. Les décors sont minimalistes avec un unique cube vitré et mobile, posé au centre de la scène et où l’on découvre pour la première scène, Tartuffe, joué par Paul Anderson, posant tel le Christ.
Par ailleurs, point de costumes pour les personnages sur la scène mais des vêtements version 2018 avec de la couleur, voire beaucoup de couleurs. Paroxysme de l’anachronisme : quand les comédiens ouvrent la bouche, c’est pour récité le texte originel de Jean-Baptiste Poquelin, à quelques répliques près. Tartuffe 2018 serait donc le pendant théâtral de “Romeo + Juliet” de Baz Luhrmann de 1996.
On retiendra aussi l’interprétation de Dorine, jouée par Claude Perron. La comédienne française est drôle, fantasque et elle tient presqu’à elle seule la pièce, même si on ne peut en aucun cas omettre les talents d’Audrey Fleurot (Elmire), Sebastian Roché (Orgon) et bien évidemment Paul Anderson (Tartuffe), qui y sont très largement à la hauteur.
Autre plus de cette pièce, les références contemporaines distillées dans certains dialogues revus et corrigés façon années 2010 : on voit passer sur scène des téléphones portables, certains personnes se prennent en selfies, on parle de Twitter, des références sont faites à Donald Trump… Bref, bienvenue dans le nouveau monde !
L’originalité de la pièce repose sur le fait qu’elle est interprétée à la fois en français et en anglais, mais à force de passer de la langue de Molière à Shakespeare en quelques secondes, le public peut vite perdre le fil de ce qui se passe sur scène à force de se concentrer sur les panneaux diffusant les sous-titrages.
3/5 (1/5 = débutant, 5/5 = bilingue).
4/5 parce qu’adapter un grand classique est toujours un pari risqué, le faire en anglais et en français encore plus et qu’au final le rendu n’est pas si mal.