“La gastronomie est le reflet de la société, elle met autant en avant ses problèmes que ses qualités” selon la journaliste, réalisatrice et photographe, Vérane Frédiani. Née à Marseille et installée depuis huit ans à Londres, elle est confrontée quotidiennement au discours vantant le caractère exceptionnel du multiculturalisme londonien. Elle s’est alors dit qu’il fallait impérativement “parler de Marseille comme on parle de Londres” car la cité phocéenne possède une base culturelle aussi large, tout en offrant l’avantage d’être bien moins onéreuse.
Ainsi, pendant la crise du Covid, elle décide d‘écrire un livre qui, en laissant la parole aux Marseillais, dévoile tout ce qui fait la richesse culinaire de la plus ancienne ville de France. Publié en 2021 aux éditions de La Martinière, Marseille cuisine le Monde, rassemble 60 portraits, 75 recettes et plus de 200 lieux afin d’immerger le lecteur dans l’authenticité de Marseille et de l’éloigner des stéréotypes, souvent véhiculés par les médias.
Pour élaborer ce fabuleux guide culinaire, Vérane Frediani explique avoir passé du temps dans les rues de la métropole, à écouter et à rencontrer divers chefs et propriétaires d’établissements, chacun lui recommandant d’autres adresses à découvrir. “Ce livre est né du bouche-à-oreille, c’est un livre fait à la marseillaise, et quel luxe ce fut de redécouvrir ma ville natale et de rencontrer ses habitants” confie-t-elle.
Lors de la conception de son ouvrage, la journaliste souligne qu’elle n’a pas ressenti le besoin d’insister sur la diversité car celle-ci est profondément ancrée dans l’identité marseillaise. Elle partage son propre héritage familial, avec un grand-père italien, un père corse, et elle-même étant la première génération de sa famille à naître à Marseille. Ainsi, les plats traditionnellement associés à Marseille, tels que le couscous, la pizza, et bien d’autres, incarnent en réalité un “fabuleux mélange culturel”.
“Vivre à Marseille, comme vivre dans des endroits tels que New York ou Londres, signifie devenir véritablement un local, tout en conservant ses origines.” Cette fusion donne naissance à une richesse culinaire et culturelle unique. En échangeant sur cette particularité avec les habitants, lors de l’écriture de son ouvrage, elle note que “c’est incroyable de se rendre compte à quel point il n’ont pas conscience du potentiel de leur ville”, c’est pourquoi “mon livre est militant et tend à participer à faire évoluer l’image associée à Marseille”.
Par ailleurs, l’autrice de Elles cuisinent, publié en 2018 et qui met en lumière les femmes influentes dans le domaine de la gastronomie, remarque que la cité phocéenne se distingue par une scène culinaire particulièrement féminine. Elle souligne la présence de ” beaucoup de femmes qui ne sont pas issues des grandes écoles culinaires françaises, comme le veut la tradition, mais plutôt des autodidactes qui se professionnalisent par la cuisine”. Vérane Frédiani présente dans son livre une diversité de portraits en matière de classe sociale, de genre, d’âge et de culture. La difficulté n’a pas tant résidé dans la rencontre de ces personnes mais plutôt “dans le défi de faire un bon arbitrage, pour ne pas retrouver deux fois le même portrait”.
Bien que Marseille soit dotée d’une gastronomie moderne, “caractérisée par une liberté créative qui se nourrit des nouvelles générations de chefs”, Vérane Frédiani assure que la ville ne risque pas de s’embourgeoiser. Elle souligne que Marseille demeure marquée par la pauvreté et loin d’être saturée comme Paris. Malgré l’apparition de restaurants proposant des menus gastronomiques plus onéreux, elle estime que “ce n’est pas une mauvaise chose, au contraire cela attire un tourisme diversifié, crucial pour stimuler l’économie locale.” C’est pourquoi elle a délibérément inclus une gamme de prix variée pour les recettes et les restaurants de son guide, dans le but de “mélanger les influences” qui caractérisent Marseille.
A la suite du succès de Marseille cuisine le monde en France, Vérane Frédiani a décidé de publier une version en anglais en novembre dernier. Elle explique ce choix par deux raisons principales. Tout d’abord, elle constate que Marseille attire de plus en plus l’attention des médias américains et britanniques. Ces derniers sont intrigués par cette “ville branchée” qui abrite un tissu artistique, comprenant des ateliers et d’importants musées comme le Mucem. Ainsi “Marseille is the new Berlin” selon l’écrivaine, suggérant que c’est une ville qui fait désormais sens. Les touristes ne cherchent plus simplement à profiter des plages mais à s’immerger dans un espace urbain culturellement riche. “Marseille devient un arrêt supplémentaire et nécessaire dans la visite de la Provence”.
L’autre raison s’appuie sur son agacement face à la prolifération de livres sur la cuisine française, rédigés par des non-Français. Un phénomène qui s’explique en partie par le manque de soutien envers les auteurs de livres de recettes dans le domaine de la traduction. Face à ce constat et à l’intérêt croissant pour Marseille, Vérane Frédiani a pris les devants en faisant traduire son ouvrage en anglais avec l’aide d’Alexis Steiman.
Ainsi, Taste the world in Marseille, désormais disponible au Royaume-Uni, compte 40 nouvelles pages avec une liste de restaurants réactualisée et de nouvelles recettes. Le livre est également plus long en raison des efforts de recontextualisation pour les lecteurs anglophones. “Certaines traductions ont été particulièrement difficiles car le langage marseillais est très imagé, il a fallu repenser certains jeux de mots. Ainsi, ‘qui ne mange pas de pizza, n’est pas marseillais’ est par exemple devenu ‘pizza on the rocks’”, s’amuse Vérane Frédiani.
De plus, il a été nécessaire d’illustrer les références culturelles françaises. “Il est difficile d’apprécier les dialogues de Marcel Pagnol en anglais, car une grande partie de l’humour repose sur le sous-texte. Il fallait donc trouver des tournures qui parlaient aux anglophones tout en préservant l’authenticité marseillaise”.
Dans la continuité du lancement de son livre en novembre, Vérane Frédiani animera, le temps d’une journée, un pop up à L’Authentique Epicerie de Londres dimanche 3 mars prochain avec au menu un brunch cuisiné en direct par la chef Marie Dijon. Il sera d’ailleurs possible d’acheter Taste the world in Marseille sur place, tout en dégustant le meilleur de la cuisine phocéenne.
Quand : dimanche 3 mars de 12pm à 8pm
Où : Authentique-épicerie & bar, 116 Fortess Rd, London NW5 2HL
Combien : prix à la carte
Réservations : ici