Comme de nombreux autres parents, Magalie a longtemps espéré que le Lycée français Charles de Gaulle, où sont scolarisés ses trois enfants, ne serait pas concerné par l’instauration par le nouveau gouvernement travailliste de la TVA à 20% sur les écoles privées britanniques qui serait réinvestie dans le secteur public et permettrait d’embaucher plus d’enseignants. Mais l’établissement, comme les autres écoles françaises et bilingues d’ailleurs, pourrait bien en faire partie. Keir Starmer avait d’abord parlé d’une introduction à la rentrée 2025-2026, surprise, le 29 juillet, le gouvernement a annoncé que l’entrée en vigueur serait avancée à début janvier 2025. De quoi créer un peu d’inquiétude au sein des établissements mais aussi chez les familles.
Car cette taxation pourrait se faire sur les frais de scolarité. Pour Magalie, ce changement représenterait ainsi un coût supplémentaire de £6,000 par an pour ses trois enfants, passant ainsi de £30,000 à £36,000. “Et ça, sans compter la hausse annuelle habituelle”, due à l’inflation par exemple. “Nous sommes dans un pays où l’éducation est payante, nous le savons, mais nous nous n’attendions pas à une telle mesure”, commente Magalie. Elle reconnaît que si son foyer a encore les moyens financiers de faire face à cette augmentation, ce n’est pas forcément le cas de certains de ses amis. “Tous les parents qui inscrivent leurs enfants au lycée ne sont pas aisés, il y en a aussi qui se saignent les quatre veines et qui n’ont pas d’autres alternatives”.
Contacté par nos soins, le Lycée français Charles de Gaulle n’a pas souhaité répondre à nos questions sur le sujet, justifiant “des raisons de confidentialité et de respect des négociations en cours” et qu’il ne disposait pas “des informations définitives à transmettre”. L’AEFE, Agence pour l’Enseignement du Français à l’Étranger, qui gère l’établissement, comme toutes les écoles qui y sont rattachées, a été également sollicitée pour une interview, mais nous a renvoyé vers le pôle diplomatique, autrement dit l’Ambassade de France au Royaume-Uni. Au moment de la publication de cet article, aucun retour n’avait été donné de sa part.
Vincent Caure, député de la troisième circonscription des Français de l’étranger fraîchement élu en juin dernier, nous a quant à lui fait parvenir, en guise de réponse, la lettre qu’il avait adressée à l’AEFE début août pour une demande de rendez-vous avec la directrice générale, Claudia Scherer-Effosse, “afin de pouvoir discuter des dispositifs à mettre en place pour assurer aux élèves français scolarisés dans le réseau AEFE au Royaume-Uni une rentrée 2024 sereine et le meilleur accès possible au système scolaire français”.
Car il est là le problème, comme l’a souligné l’association des parents d’élèves de l’établissement dans son courrier adressé, vendredi 13 septembre, à la ministre britannique des Finances, Rachel Reeves. “Le Lycée français Charles de Gaulle (comme les autres écoles françaises et bilingues d’ailleurs, ndlr) permet à ses élèves de suivre des cours conformes aux exigences du ministère français de l’Éducation nationale, assurant ainsi une continuité scolaire indispensable aux familles installées à l’étranger”, avec à la clé des diplômes français (brevet et baccalauréat) que les écoles publiques britanniques ne peuvent pas délivrer. “Les parents n’ont donc pas d’autre choix que de se tourner vers un établissement comme le Lycée Français Charles de Gaulle pour assurer à leurs enfants une éducation conforme au système français”. Sauf qu’avec l’introduction de la TVA, l’impact financier pourrait être tel pour certaines familles qu’elles seraient obligées de déscolariser leurs enfants du système français pour se tourner vers les écoles publiques, non payantes.
Dans son courrier, la présidente de l’APL de lycée, Karen Bargues, a fait remarquer à la ministre britannique que le nombre d’élèves demandant une aide financière, via leur organisation caritative, le LFCG Families Charity Fund, avait déjà augmenté ces dernières années à cause de la hausse du coût de la vie au Royaume-Uni. Leur nombre “augmenterait inévitablement à mesure que s’ajouteraient les personnes qui dépendent déjà de bourses partielles et qui ne pourraient pas se permettre ces 20 % supplémentaires” et Karen Bargues estime même que c’est l’association qui pourrait alors être impactée. Les familles ne pouvant plus payer les frais de scolarité “seraient obligées d’envisager de rentrer en France pour assurer la poursuite des études de leurs enfants dans des établissements publics français. La seule alternative serait de mettre en péril leur scolarité en les faisant basculer tardivement vers un système éducatif britannique qui leur est inconnu, avec des échéances académiques qu’ils auraient déjà manquées, comme la préparation du Common Entrance Exam, des GCSE et des A Levels”.
La présidente de l’APL dit comprendre les enjeux économiques de cette mesure mais espère que le gouvernement fera une exception, de part “la singularité de (notre) établissement, ainsi que l’absence d’alternatives publiques britanniques”. C’est d’ailleurs sur ce point que David Gassian, directeur du Collège Français Bilingue de Londres (CFBL), espère que le gouvernement pourrait changer d’avis concernant les écoles françaises et bilingues car “envisager pour les familles françaises ou mixtes d’aller à défaut vers des ‘state schools’, c’est renoncer à la scolarité française et aux examens associés, comme le brevet et le baccalauréat”, argumente le directeur, “sauf que ces éléments comptent beaucoup pour certaines familles, très attachées au modèle d’éducation française”. David Gassian insiste aussi sur le fait la présence d’établissements comme le CFBL dans le paysage éducatif britannique est la garantie d’une mixité culturelle, ne bénéficiant pas seulement à la communauté française ou francophone mais aussi à à la population locale lui offrant ainsi “une alternative à l’école publique, tout en formant aussi un enrichissement pour le pays”.
David Gassian espère que les choses pourront changer. “Rien n’est encore fait”, rappelle-t-il, “le vote n’a pas encore eu lieu, les élus vont discuter”. Aussi, du côté français, des pourparlers seraient en cours entre les autorités françaises et britanniques. En attendant d’en savoir plus sur les conclusions de ces échanges, il reste beaucoup de points à éclaircir sur la proposition actuelle : sur quoi cette taxation va-t-elle être appliquée ? Sur les frais de scolarité seulement, sur la restauration scolaire, les activités périscolaires ? “Et à partir de quels niveaux de classe ?”, ajoute le directeur. Si dans le système éducatif français, l’école est obligatoire à partir de trois ans, ce n’est pas le cas au Royaume-Uni. “Et quid des enfants avec des besoins particuliers. Au CFBL, nous avons deux élèves en Education Health and Care Plan, seront-ils éligibles à la suppression de la taxation ?”. Aussi, il s’inquiète des élèves boursiers cette année. “La hausse des frais de scolarité va se faire en milieu d’année, sauf que l’Etat français n’a pas budgété cela”. Les établissements pourraient alors voir partir des familles à défaut de pouvoir suivre financièrement. Pour David Gassian, tout se jouera entre les mois de novembre et décembre, où les parents décident en général de continuer ou pas pour l’année prochaine. “Au CFBL, nous avons décidé de garder notre cap, de poursuivre notre éducation d’excellence, de continuer à faire des investissements et à bien payer notre personnel”.
Malgré ce contexte d’incertitudes, il se dit rassuré d’avoir constaté que ”la rentrée a été sereine” pour le CFBL avec “un sentiment dynamique et positif”. “C’est un indicateur qualitatif”, ajoute-t-il. Et quantitativement, le nombre des effectifs n’a pas diminué plus qu’à l’habitude. “Parfois, certains parents décident de partir pendant l’été, nous avons eu un peu de crainte avec cette annonce de voir une hémorragie d’élèves. Mais la bonne surprise a été que nous avons constaté très peu de mouvement pour cette rentrée”. Cependant, le CFBL se dit prêt à faire face à cette introduction de la TVA. “Nous savons qu’il y aura un impact. Le board travaille sur toutes les hypothèses afin de soutenir au mieux les familles”. Qui, elles, ont été invitées à écrire à leur député pour leur faire part de leur inquiétude.
Au lycée international Winston Churchill, la principale, Mireille Rabaté, veut rester prudente. “Pour le moment, nous n’avons pas vu le texte de la proposition de loi et il demeure plein d’incertitudes”. Mais elle sait aussi qu’avec la majorité écrasante du gouvernement travailliste au Parlement, le texte pourrait passer sans problème, c’est pour cela qu’elle envisage déjà la possibilité que tout change à partir de janvier 2025. “Mais nous devons faire des plans à partir de ce que l’on sait. A l’heure actuelle, nous ne savons pas sur quoi cette taxation sera appliquée, et si elle l’est sur certains éléments, est-ce qu’elle sera remboursable, et c’est ça la plus grosse inconnue”.
Si Mireille Rabaté assure ne pas avoir d’opinion propre sur les raisons invoquées par le gouvernement sur l’instauration d’une telle taxe, ce qu’elle constate, comme les autres chefs d’établissements concernés, c’est que la situation crée des difficultés avant tout pour les familles, et plus particulièrement celles issues des classes moyennes. “Pour des écoles comme Eton, vieille de 400 ans et dont les frais de scolarité vont passer de 50,000 à 63,000 l’année, il y aura peu d’impact. Ce ne sera qu’une goutte d’eau pour les familles qui pouvaient déjà se permettre de mettre autant”. Mais pour des établissements indépendants, comme le lycée Winston Churchill, les choses sont plus complexes. “Nous sommes des laboratoires d’idées, où l’on fait progresser tout le monde. Ce serait se priver de tout cela”.
L’établissement attend avec impatience octobre pour voir ce qui va se décider, le budget devant être discuté à la fin du mois.“Peut-être que le gouvernement entendra nos remarques et que la mise en place d’une telle mesure en milieu d’année serait un casse-tête. On peut espérer des bonnes surprises”, veut croire Mireille Rabaté.