Sorti en octobre 2017, le dernier film de Tonie Marshall Numéro Une a été présenté lors du French Festival à l’Institut français du Royaume-Uni. L’occasion d’échanger avec la réalisatrice franco-américaine sur la place de la femme dans la société, sa vision du monde et de l’espoir qu’elle garde de voir les choses bouger.
Elle tenait à venir jusqu’à Londres pour présenter elle-même son dernier film. “Je l’accompagne beaucoup depuis sa sortie et je l’ai beaucoup présenté, j’ai été invitée dans des ministères, des grandes écoles. Il sert de support à motiver et à essayer d’expliquer pourquoi il faut que les choses s’ouvrent”, confie Tonie Marshall. Son dernier film, Numéro Une, il est question d’une femme confronté à un défi de taille, celui de devenir la première femme d’une entreprise du CAC 40. Plus que ça, il va lui falloir faire sa place dans un monde d’hommes, pas encore prêts à laisser la gent féminine prendre des responsabilités. Il n’y aurait pas comme un air de résonance avec l’affaire Weinstein, le mouvement #metoo ou #balancetonporc…? Sans conteste, mais c’est bien avant tout cela que Tonie Marshall a pensé à l’histoire qu’elle voulait raconter. “En réalité, ce qui est dans l’air c’est que les femmes se disent qu’il faut prendre de plus de place, car c’est aussi d’un changement de société dont il est question d’une certaine façon”, analyse Tonie Marshall.
Dans ce film, Emmanuelle Devos incarne avec justesse et force le rôle d’Emmanuelle Blachey, ingénieure brillante et volontaire, qui a gravi les échelons de son entreprise, géant français de l’énergie, jusqu’au comité exécutif. “Numéro Une ne raconte pas l’histoire d’une femme qui voudrait la place d’un homme. Ce qu’il raconte c’est à quel point l’accession des femmes est encore bloquée par des mécanismes et une culture masculine et quasi universelle. Dans mon film, j’ai décrit les processus en France qui sont assez particuliers, parce que je vois bien qu’aux Etats-Unis, même si les blocages sont les mêmes, ce ne sont pas les mêmes verrous car la politique n’intervient pas vraiment dans ce genre de contexte. Mais la mentalité, le fait que les femmes ont peu la parole, qu’elles soient noyées dans des comex où elles sont une, ou parfois deux au mieux, les obligent à se calquer sur des mécanismes masculins vers lesquels elles n’iraient pas naturellement. C’est tout cela qui est intéressant à raconter”, résume la réalisatrice.
Les femmes ont toujours été au centre des œuvres cinématographiques de la Franco-américaine. Vénus Beauté (institut), Au plus près du paradis, Enfants de salaud pour ne citer qu’eux. Mais Tonie Marshall se défend de vouloir faire des films de femmes. “Je ne pense pas que les films soient “genrés””, explique l’artiste avant de poursuivre, “en revanche, j’ai toujours écrit des films avec comme personnages principaux des femmes car c’est plus facile pour moi à visualiser, à conceptualiser. Mais je ne pars jamais en me disant que je vais écrire un personnage de femme. Je me dis que je vais construire un personnage qui veut ça ou ça, qui voudrait faire ça et qui va être confronté à ça. Cela pourrait être homme. Par exemple, quand dans une situation amoureuse, un homme peut être dévoré d’amour là où on s’attendrait à ce que cela soit une femme. En fait, il n’y a pas de règles”.
Tonie Marshall confie qu’en tant que femme, réalisatrice et même actrice, elle n’a jamais souffert de misogynie. “J’ai eu beaucoup de chance ou j’ai été très aveuglée mais je ne crois pas avoir ressenti cela un jour. J’ai fait partie d’un mouvement à partir de la fin des années 80 en France où tout d’un coup beaucoup de femmes, ou du moins on en avait l’impression, arrivaient dans le monde du cinéma sans avoir autant de difficultés que ça pour monter des films”. La réalisatrice se souvient même que pour sa première œuvre cinématographique, alors qu’elle n’avait pas encore un CV aussi impressionnant qu’aujourd’hui, elle a rapidement trouvé un producteur. En revanche, elle souhaite se battre pour que les choses bougent davantage. “En France, on a actuellement 25% de réalisatrices, c’est le top dans le monde. Mais ce n’est pas suffisant, et quand on regarde les statistiques, on voit souvent que les films réalisés par des femmes sont souvent à plus petits budgets, ou qu’il y a beaucoup moins de femmes présentes dans le financement, dans la production ou dans la distribution… Bref, dans les endroits où l’argent circule”.
Tonie Marshall fait partie des signataires du collectif 5050 en 2020, pour lutter contre l’inégalité des sexes dans le monde du cinéma. “On essaie de montrer avec les statistiques à quel point il faut ouvrir les choses. Par exemple, il faudrait plus de techniciennes. Mais il est aussi nécessaire d’être plus inclusifs, comme le disait Frances Mc Dormand (qui a obtenu l’Oscar de la meilleure actrice en 2018), avec une meilleure représentation non seulement des femmes mais aussi des minorités”. Pense-t-elle réellement que les mentalités vont changer ? “Bien sûr, il le faut. Cela va prendre du temps, une génération et demi peut-être. Mais il faut garder espoir, c’est très important”.