La colère n’en finit pas de monter chez certains parents d’élèves du Lycée français Charles de Gaulle de Londres (LFCG), et le webinaire budgétaire, organisé par l’établissement mercredi 5 février dernier, a fini par mettre le feu aux poudres, au vu, disent-ils, du “manque de transparence” de la part de la direction. Mais les inquiétudes ont commencé bien avant cette vidéoconférence, comme le souligne un parent d’élève, qui a souhaité garder l’anonymat (d’ailleurs, les personnes qui ont choisi de témoigner ont toutes demandé à conserver cet anonymat, ndlr).
Tout débute l’été dernier, quand le gouvernement britannique annonce la mise en application de la TVA sur les écoles privées du pays à partir de janvier 2025. Certains parents d’élèves ont alors “commencé à s’intéresser de plus près aux mécanismes” de financement de l’établissement, car, disent-ils, ils ne pouvaient plus assumer soudainement cette augmentation de 20% sur les frais de scolarités cumulée à une autre hausse, cette fois-ci de 4%, et annoncée cette année par le lycée français.
Une hausse censée couvrir des frais de travaux de la cantine à South Kensington. “Les frais de scolarité sont passés de £5,961 en 2014 à £12,310 à la rentrée prochaine. Les coûts liés à l’énergie et aux loyers des différentes écoles ne peuvent pas simplement expliquer cette augmentation”, déplore ainsi un parent.
Comment expliquer un tel changement en dix ans, s’interrogent donc ces familles, alors que “dans des pays où le coût de la vie est comparable à Londres, des lycées français ont des frais représentant moins de 50% des frais de scolarité au LFCG”. “Chaque année, sur les 15 dernières années, le lycée a appliqué jusqu’à 9% d’augmentation par an, sans justification, ni lien avec l’inflation, trois fois moindre”, lance un autre parent, qui rappelle que l’article L452-2 du code de l’éducation “prévoit que l’AEFE (agence pour l’enseignement du français à l’étanger et qui gère en direct le Lycée français, ndlr) a une mission de service public, qui doit aider les familles à supporter les frais d’enseignement, et les garder stables. Or, ce n’est plus le cas, inscrire son enfant dans l’établissement est devenu inabordable, sans parler du manque du rapport qualité-prix”.
Pour l’AEFE*, le montant des frais de scolarité du Lycée français est complètement justifié. “Une scolarité a un coût, car il faut notamment rémunérer les personnels”, et la masse salariale prévisionnelle s’élève à près de 22 millions euros (21 798 000 €) en 2025 pour l’établissement, souligne l’organisme, avant aussi de rappeler qu’”en France, la scolarité dans l’enseignement public est financée par l’Etat et les collectivités locales mais son coût est connu : le coût élève est de 7,580 euros en maternelle (porté par la présence des Atsem), de 7,370 euros en élémentaire, de 9,150 euros au collège et de 11,570 euros au lycée”. Et si l’AEFE reconnaît que le Lycée français à South Kensington ne paie pas de loyer, elle rappelle que ce n’est pas le cas pour les autres écoles comme Wix, Marie d’Orliac et André Malraux.
Aussi, l’agence estime que le LFCG “n’est absolument pas l’un des plus chers” de son réseau, qui compte 600 établissements scolarisant près de 400,000 élèves dans 138 pays. “La moyenne “monde” des frais de scolarité en 2024/2025 est de 6,157 euros par an, les droits de scolarité allant de 71 euros à Madagascar à 43,336 euros au lycée français de New-York. Le lycée Charles de Gaulle est l’établissement secondaire (collège et lycée) le moins cher des établissements homologués à Londres”, avance l’AEFE, insistant sur le fait que “dans l’ensemble du réseau, les lycées français sont souvent deux à trois fois moins chers que les autres écoles internationales”.
Les familles en ont “marre d’être considérées comme des vaches à lait”, s’exaspère un parent d’élève. “Contrairement aux idées reçues, le Lycée français n’est pas une école d’élite, uniquement fréquentée par des enfants de banquiers de la City”. Si un système de bourse existe bien, elles rappellent qu’il ne s’applique qu’aux familles les plus démunies. “La démarche pour une demande est tout d’abord très lourde et le barème n’a jamais été revisité par le consulat. En somme, si vous êtes une famille monoparentale avec un enfant et que vous gagnez plus de £50,000 par an, vous n’avez le droit qu’à 7% de prise en charge des frais de scolarité. Pour être boursier à 100%, il faudrait être une famille monoparentale avec trois enfants et le parent gagnant £30,000 par an. Les classes moyennes, elles, n’ont droit à rien et se sacrifient souvent énormément”. Un autre parent explique de son côté qu’”en 2025, il faudrait plus de £10,000 d’augmentation de salaire brut à une famille pour faire face à la hausse des 25% des frais de scolarité du Lycée pour deux enfants scolarisés”.
Certaine familles pourraient d’ailleurs déjà être dans une situation délicate, le Lycée français ayant demandé le paiement des frais d’inscription pour le deuxième trimestre, incluant donc les 20% de TVA, pour le 6 février, “alors même que la facture a été émise 15 jours avant la date” lance un parent, et que “nous avons aussi reçu vendredi 7 une facture de £960 de frais de réinscription pour l’année prochaine payable avant le 28 février, sans quoi l’enfant sera désinscrit d’office”. Beaucoup se plaignent de “l’approche indélicate” de l’établissement. “Le calendrier de paiement est inapproprié et montre bien que la direction est déconnectée de la réalité des familles”.
L’AEFE se défend en expliquant que ce calendrier de paiement est “connu des parents puisqu’il est dans le règlement financier, signé par les parents”. “Les paiements s’effectuent en plusieurs versements dans l’année. La date du règlement des frais de réinscription est identique chaque année. Les frais de réinscription sont dus fin février et les frais du deuxième trimestre fin mars. Au cas par cas, des aménagements peuvent être faits en termes de calendrier pour les familles en difficultés financières. Celles-ci sont invitées à se rapprocher de l’établissement”.
Dans la liste de leurs griefs, ces parents qui témoignent regrettent également que le Lycée français de Londres ait décidé de répercuter intégralement cette TVA à 20% dans les frais d’inscription alors même que l’école devrait récupérer du gouvernement britannique la TVA payée sur ses dépenses. “Dans les faits, elle va probablement pouvoir récupérer a minima 5 à 10%. C’est dommage que le lycée ne se soit pas mieux préparé, sachant que les autres écoles, qui disposaient des mêmes éléments d’information et des mêmes délais, ont pour la plupart annoncé des tarifs prenant en compte ces déductions et ont donc prévu des augmentations partielles uniquement, voire pas d’augmentation du tout, pouvant absorber elles-mêmes la TVA sur les frais de scolarité”.
L’AEFE reconnaît que “l’augmentation de 20% liée à la TVA est “une lourde charge” pour les familles, avant de préciser que cet argent supplémentaire n’ira pas dans la poche de l’établissement, “ce produit étant intégralement reversé au Trésor britannique”. L’agence insiste aussi sur le fait qu’un travail a été fait, avant le vote de la loi sur cette taxe, par les autorités diplomatiques françaises pour “alerter à plusieurs reprises le gouvernement britannique sur la situation particulière des établissements français au Royaume-Uni”. En vain. “Depuis l’été, l’agence et le lycée ont travaillé de manière énergique sur les conséquences de cette application”, assure-t-elle, avançant qu’ils essaient aujourd’hui de faire en sorte de récupérer de la TVA sur d’autres éléments. “Le lycée s’est engagé à travailler en totale transparence avec les parents et les tiendra informés à l’issue de l’exercice budgétaire 2025 de toutes les récupérations effectuées. Il fera en sorte que le budget soit constitué au mieux afin que les coûts de plus en plus élevés affectent les familles au minimum, permettant ainsi notamment aux familles françaises de scolariser leur enfant dans cet établissement”.
Dans tout ce contexte, les parents d’élèves interrogés soulèvent par ailleurs la question du fonctionnement global de l’agence pour l’enseignement français à l’étranger. “On se demande à combien se chiffre la contribution financière annuelle que le lycée reverse à l’AEFE”, avancent certains parents, “on parle de 25% des recettes, mais pourquoi et à quoi ces fonds sont-ils précisément employés ?”.
Autre interrogation, le déficit du lycée, alors même que, avance un des parents d’élève, “le solde budgétaire de l’école pour 2025 fait apparaître un excédent de 8.5 millions de livres”. Sauf qu’”après ponction de l’AEFE, l’établissement finit avec un déficit de 1.2 million. Ce qu’on comprend c’est que ce déficit donne la parfaite excuse pour justifier la hausse des tarifs imposée”.
Ce n’est pas la première fois que le financement de l’AEFE pose questions à des parents. En 2017, un parent d’élève du lycée français de New York avait déposé plainte à la section financière du parquet de Paris, accusant “l’AEFE d’accabler financièrement les familles d’élèves et d’opérer des ‘ponctions financières sur les trésoreries de certains établissements” et réclamait “un ‘débat public’ autour du financement de cette agence”, comme le rapportaient nos confrères du Figaro en 2018.
Les parents interrogés rejettent l’idée que le financement de l’établissement se fasse à 50-50 entre l’Etat français (via l’AEFE) et les frais payés par les familles. “L’aide nette de l’AEFE, en baisse constante, hors bourses scolaires, a simplement été de 1,354€ par élève en 2023, soit environ £1,128. Alors même que l’Etat contribue à hauteur de 8,400€ par élève en métropole. Si les frais de scolarité sont de £11,047 pour les parents, cela représente donc une subvention d’à peine 10%, et non de 50%”. Pour étayer leur position, ces parents brandissent le rapport sénatorial de 2018 sur le thème “Le réseau de l’enseignement français à l’étranger a-t-il les moyens de ses ambitions ?” qui “annonçait à l’époque une contribution des familles beaucoup trop accrue à 60% et épinglait déjà le LFCG comme ayant le taux de ponction vers l’AEFE le plus élevé du réseau. Aujourd’hui, la charge des familles dans le financement de l’établissement est plutôt de 90%”.
L’AEFE explique de son côté qu’elle ne perçoit que deux subventions publiques, d’un montant total d’environ un demi milliard. “L’une pour le fonctionnement du réseau, l’autre pour financer les bourses scolaires sur critères sociaux et les accompagnants pour les élèves en situation de handicap (AESH), ces deux derniers dispositifs étant réservés aux élèves de nationalité française”. L’autre partie de ses ressources provient, toujours selon l’agence, “d’une part des contributions des établissements (6% pour les établissements en gestion directe (comme le Lycée français de Londres) et pour les établissements conventionnés, 2% pour les établissements partenaires), d’autre part du reversement par les établissements d’une partie du coût des personnels détachés dans l’établissement par l’AEFE”.
Concernant l’augmentation supplémentaire – en dehors de la TVA imposée par le gouvernement britannique – de 4% annoncée cette année par le LFCG mais décidée par la directrice générale de l’AEFE, l’agence la justifie “au regard des recettes nécessaires et de l’environnement économique, notamment l’inflation”. “Elle correspond à ce qui avait été annoncé dans le cadre de la trajectoire triennale d’augmentation des frais de scolarité”.
Et pas question, pour eux, d’entendre l’argument du Lycée français expliquant qu’il est l’école française la moins chère de Londres. “Il y a à peine £4,000 d’écart avec le CFBL, qui n’a pas de subventions et ne possède pas son bâtiment et terrain depuis près d’un siècle. Pour nous, c’est inentendable : l’établissement ne paye pas de loyer ou de crédit immobilier, donc on pense plutôt à une mauvaise gestion financière, car réintégrer cette composante le rendrait parmi les plus chers de tous les autres établissements français publics ou privés du Royaume-Uni”.
Suite à la réception des premières factures avec TVA, certains parents ont déjà adressé au Lycée français des lettres de Payment Under Protest avec une liste de leurs griefs. “On en arrive à se demander si tout cela n’est pas un moyen pour l’AEFE d’abandonner le système du lycée français à l’étranger et de lancer une sorte de label d’école privée et attirer que les personnes ayant les moyens d’inscrire leurs enfants”. Faux, répond l’AEFE qui “n’envisage pas de changement statutaire pour ces établissements qui constituent la ‘colonne vertébrale du réseau’ et ont une excellente réputation. La qualité du LFCG vient d’ailleurs d’être réaffirmée par le dernier rapport de l’Ofsted et les résultats aux examens, ainsi que l’orientation post baccalauréat, restent exceptionnels et confirment l’excellence de notre établissement”.
Ces parents promettent de continuer à se battre. “Mais on sait que c’est un peu David contre Goliath”.
*Nous avons sollicité une interview par téléphone de la direction de l’AEFE. Cette dernière a préféré répondre à nos questions par mail. Nous avons également contacté le Lycée français en leur précisant nos questions, mais n’a pas souhaité s’exprimer.