Importer et mettre en scène cinq monologues de l’illustre Jean Cocteau dans la langue de Shakespeare, tel était le rêve de longue date du metteur en scène russo-géorgien Dimitry Devdariani. Son projet prend vie avec le comédien français Gilles Guillain. Ensemble, ils ont mis sur pied Threads, une pièce présentée pour la première fois sur la scène du Tea House Theatre à Vauxhall vendredi 8, samedi 9, dimanche 10, mardi 19 et vendredi 22 novembre prochains.
C’est bel et bien un hommage que s’apprêtent à rendre les deux hommes au romancier mais également poète, dramaturge et cinéaste qu’était Jean Cocteau. Un coup de cœur pour cet artiste multi-casquettes né, chez Dimitry Devdariani, du visionnage du Testament d’Orphée en 1989. Un film qui a marqué à vie le jeune Russo-géorgien. “Je vivais encore en Union soviétique et je n’arrivais pas à croire ce que je voyais à l’écran : un dieu, la vie après la mort, des anges. Autant de représentations qui étaient jusque-là impossibles dans un pays où la spiritualité n’avait pas sa place”, explique-t-il. Après cet épisode, le metteur en scène nourrit un intérêt grandissant pour l’auteur de la Machine infernale. C’est en s’intéressant plus largement à la culture française qu’il réalise que l’artiste “a toujours été sous-représenté”, déplorant au passage que “sans Cocteau, le théâtre contemporain ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui”.
En 2018, le cinéphile rencontre Gilles Guillain au détour d’un tournage. Séduit par ses origines tricolores et sa formation de comédien-danseur, Dimitry Devdariani lui fait rapidement part de son projet d’adaptation de cinq monologues de Jean Cocteau. L’un d’entre eux, un texte tombé dans l’oubli, a d’ailleurs dû être traduit en anglais à partir d’une version russe. Mis bout à bout sous le contrôle du comité Jean Cocteau, les scènes donnent une seule et même pièce composée de cinq personnages “qui pourraient n’en être qu’un”. Au final, c’est la solitude de l’homme du XXIème siècle qui est interrogée à l’heure où les possibilités de connexion sont pourtant quasi-infinies. Un clin d’œil contemporain appuyé par la scénographie au travers de projections vidéo et quelque accessoires alliant modernité et voyage dans la France des années 1930.
Pour sa première représentation théâtrale dans la langue de Shakespeare, le comédien originaire de Saint-Quentin-en-Yvelines admet volontiers qu’il s’agit “d’une belle mise en danger”. Un pari finalement réussit pour Gilles Guillain qui se réjouit aujourd’hui d’avoir pu “redécouvrir un auteur français de cette importance”. Outre la barrière de la langue, cette adaptation est également un défi artistique puisque les cinq monologues mettent scène successivement deux femmes, deux hommes et un sphinx. L’artiste propose ainsi une chorégraphie sobre, précise et suggestive pour accompagner les mots de ses personnages. Un impératif à en croire le titulaire d’une maîtrise en arts du spectacle car “le monologue est un exercice particulier qui implique d’intéresser le public en étant seul”.
Installé au Royaume-Uni depuis 2015 pour s’ouvrir de nouvelles perspectives, Gilles Guillain constate chaque jour un peu plus la “fascination qu’il y a pour la France à l’international”. Malgré une carrière démarrée en fanfare en 2001 avec un premier rôle dans le film Brève traversée de Catherine Breillat qu’il tourne à un mois de son baccalauréat, l’acteur enchaînera ensuite trois autres longs-métrages, quelque courts-métrages et une tournée théâtrale d’une trentaine de dates sans véritablement percer. Il décide alors d’approfondir son travail autour du corps en suivant une formation de danse contemporaine et d’arts du cirque. Threads lui permet ainsi de renouer avec son pays d’origine et ses différentes facettes artistiques tout en s’ouvrant à un nouveau public. Un premier pas qui pourrait être prolongé si le succès est au rendez-vous.