“Les ressortissants de l’Union européenne doivent s’adapter à un système radicalement différent”, indique Nilmini Roelens, avocate spécialisée dans le droit de l’immigration. La libre circulation entre le Royaume-Uni et l’UE a pris fin au 1er janvier, modifiant fortement le droit du travail pour les Européens.
Ces personnes conservent leurs droits d’avant Brexit et peuvent occuper un emploi au même titre qu’un Britannique sans se soucier de visa. En revanche, il leur est conseillé de demander leur statut de “settled” ou “pre-settled” rapidement, surtout si elles cherchent du travail. Les six premiers mois de 2021 risquent d’être compliqués pour les recruteurs qui ne peuvent employer que les Européens concernés par l’EU Settlement (ou ceux qui ont un visa) mais sans pouvoir encore exiger des candidats qu’ils soient allés au bout de la procédure, les demandes de “settlement” pouvant se faire jusqu’au 30 juin 2021.
Devant cette complexité, certains pourraient être tentés de ne pas retenir de candidat présentant un passeport européen. Ce qui est interdit. “Quand une discrimination est prouvée, la condamnation peut être très lourde pour l’employeur”, note Hélène Bérard, avocate spécialisée en droit du travail britannique au sein du cabinet Berard & Lovell. Il n’empêche. Afin de limiter les risques, le conseil pour les travailleurs est de “se mettre en règle le plus vite possible”. Ou d’être au moins en mesure de prouver qu’ils sont entrés avant le 31 décembre, 23h, au Royaume-Uni.
Il faut dorénavant à ces Européens un visa pour venir travailler au Royaume-Uni. Celui s’adressant aux “skilled workers” (“travailleurs qualifiés”) concerne probablement le plus de monde puisqu’il couvre un vaste champ de métiers – de niveau bac, minimum – allant du patron de restaurant, au directeur de banque, en passant par les professions d’officier de police ou de web designer… Un certain niveau de salaire est par ailleurs exigé (d’au moins £25.600 annuelles ou £20.480, sous certaines conditions) ainsi qu’un certain niveau d’anglais (lequel pourra notamment être validé par un test à passer auprès d’organismes approuvés par l’administration britannique).
Pour en bénéficier, le candidat doit s’être vu offrir une offre d’emploi par un “sponsor”. “C’est-à-dire un employeur qui a une ‘sponsor licence’ ou licence de parrainage”, explique Nilmini Roelens du cabinet Roelens Solictors. L’entreprise assigne au candidat un “certificate of sponsorship (CoS)” auquel il devra faire référence lors de la préparation de son dossier pour obtenir un visa de travail. Ce dernier a bien sûr un coût, qui dépend de sa durée de validité : £555 (pour la plupart des ressortissants européens, dont les Français) pour une durée de trois ans, £1165 au-delà (ce visa peut durer jusqu’à cinq ans avant d’être éventuellement prolongé, la personne peut aussi demander un droit de séjour permanent au bout de cette période). Enfin, il faut également payer l’“immigration health surcharge” (IHS) de £624 annuelles, permettant de couvrir la santé du travailleur au Royaume-Uni. Tout un processus, donc. Côté délais, “la validation du dossier par l’administration peut prendre quelques semaines pour ce visa.”
Autre catégorie qui pourrait concerner un peu de monde, le visa “health and care worker”, s’adressant, donc, aux personnes qui se seraient vu offrir un emploi en lien avec le NHS ou dans le secteur social (plus particulièrement avec des adultes). “Il y a un besoin de ces gens-là dans le pays, indique Nilmini Roelens. Donc le processus est facilité, plus rapide.”
Peuvent donc prétendre à ce visa médecins, infirmiers et professionnels de la santé et du social qui ont une offre d’emploi. Comme pour les “travailleurs qualifiés”, des conditions quant au respect d’un minimum salarial et d’un certain niveau de langue doivent être observées. En revanche, les frais de visa sont par exemple moins chers (£177 pour trois ans, 409 au-delà). La personne n’a pas non plus à payer l’“immigration health surcharge”.
Des visas sont aussi prévus pour des catégories bien spécifiques comme les personnes exerçant dans le milieu sportif ou culturel (notamment via le “sportperson visa”, d’une durée de trois ans ou le “temporary worker – creative and sporting visa”, d’un an maximum). Prévu pour des séjours de six mois, le “seasonal worker visa” concerne surtout les travailleurs agricoles. Le visa “global talent” (qui peut être octroyé pour une durée de cinq ans et être renouvelé) s’adresse à des pointures du monde académique et de la recherche mais aussi des arts et de la “technologie digitale”.
Il risque désormais d’être moins aisé pour un Européen de venir créer une société outre-Manche. “Les visas prévus concernent des situations bien déterminées, de nombreux entrepreneurs européens risquent de ne pas s’y retrouver”, prévient Hélène Bérard. Car les personnes désireuses de s’établir au Royaume-Uni pour y créer leur entreprise (elles pourront toujours le faire depuis un autre pays mais s’installer, elles-mêmes, en Grande-Bretagne devrait être plus difficile) n’auront que des options assez limitées et exigeantes.
A l’instar, notamment, d’un visa “start-up”, réservé aux projets d’entreprises “innovantes”, “différentes de ce qui est déjà présent sur le marché” ou d’un visa “innovator”, requérant au candidat d’avoir déjà £50.000 à investir ainsi que, par exemple, un potentiel de création d’emplois, de croissance au niveau national et international… Il y a aussi le “representative of an overseas business visa”, qui permet à une entreprise déjà existante d’envoyer un salarié créer une filiale au Royaume-Uni. En résumé, des situations bien spécifiques probablement pas adaptées à certaines sociétés. “Cela pourrait être plus compliqué pour ceux qui veulent se lancer dans des entreprises ayant trait à des activités de la vie quotidienne (salons de coiffure, boutiques de vêtements, boulangeries…etc)”.
Avant de recruter quelqu’un, les employeurs doivent vérifier que la personne a le droit de travailler au Royaume-Uni. Au cas où quelqu’un qui n’avait pas le droit de travailler aurait été embauché, “des amendes importantes, jusqu’à £20.000, peuvent être infligées“, indique Hélène Bérard. Pour ce qui est des candidats européens concernés par l’EU Settlement Scheme, ils ont, jusqu’au 30 juin 2021 pour demander leur statut. Les employeurs ne peuvent exiger d’eux d’avoir déjà un statut “settled” ou “pre-setteld” et se doivent toujours d’accepter cartes d’identité et passeports pour effectuer leur “right to work checks”. En revanche, à partir de juillet, la preuve de “settlement” devrait être indispensable. Les personnes avec un visa peuvent, quant à elles, aussi prouver leur statut d’immigration en ligne (s’ils ont utilisé l’application “UK Immigration : ID Check”) ou via leur “biometric residence permit”.
Par ailleurs, pour un employeur, “obtenir une ‘sponsor licence” demande beaucoup de préparation”, explique Nilmini Roelens. Et a bien sûr un coût. Car au prix de la licence – celle-ci est valable quatre ans et le coût dépend de la taille de l’entreprise (£536 pour une petite, £1476 pour les autres) –, s’ajoute celui de l’administratif. “Il peut falloir un certain travail au niveau des ressources humaines, voire solliciter les services d’un avocat, pour préparer tout ce ‘modelage’ en vue d’obtenir une licence.”
Charge, en outre, à l’employeur d’effectuer un suivi de l’employé et de prévenir les autorités en cas de problème. Il peut aussi devoir régler l’“immigration skills charge” (de £364 à £1000, l’année). Un processus global pas toujours simple, donc. Et qui limiterait nécessairement l’immigration… Mais Nilmini Roelens et Hélène Bérard se montrent optimistes. “Il faut que candidats et employeurs s’habituent. Mais il y aura toujours moyen de venir travailler au Royaume-Uni.”