“31 ans passés au Royaume-Uni sans discontinuer, plusieurs entreprises créées dont une qui attire des visiteurs étrangers, toujours payé mes taxes, marié à une femme britannique depuis 20 ans avec 3 enfants britanniques (…), soumis toutes les preuves demandées. Mais visiblement ce n’est pas assez pour obtenir un settled status” : c’est ce qu’en a conclu Richard Bertinet, boulanger français connu et reconnu au Royaume-Uni, après s’être vu rejeter sa demande de settled status auprès du Home Office, qui lui a seulement accordé le pre-settled status. Aberrant, s’étonne-t-il encore.
Pourtant, il avait tout fait dans les règles, jure-t-il. Mais la réponse qui lui est parvenue par mail vendredi 23 août reste incompréhensible. “Le Home Office m’a expliqué que j’avais dû faire la mauvaise demande, mais c’est faux. Pourquoi aurais-je demandé un pre-settled status alors que cela fait plus de 30 ans que je vis en Angleterre ?”, s’interroge Richard Bertinet. En effet, le settled status – venu remplacer la résidence permanente – est accordé aux ressortissants européens installés au Royaume-Uni depuis plus de 5 ans.
La réponse du ministère de l’Intérieur l’a beaucoup choqué, c’est pourquoi il s’est empressé de la partager sur les réseaux sociaux. Le tweet du chef boulanger très populaire au Royaume-Uni (il a été nommé “Food Champion of the Year” en 2010 par la BBC) est alors devenu viral, partagé près de 800 fois et “liké” plus de 1.400 fois, et la presse britannique s’est rapidement emparée de son histoire. Cette volonté de médiatiser ce qui lui est arrivé a été motivée par le fait qu’il souhaitait alerter les autres Européens sur ce qui se trame actuellement. “J’ai peur pour eux, qu’ils se fassent avoir s’ils ne font pas leur demande avant le 31 octobre”, confesse Richard Bertinet, avant d’estimer que le système mis en place par le gouvernement britannique “est une véritable loterie”. Il se dit même que le ministère de l’Intérieur préférerait distribuer plus de pre-settled status que de settled status à cause du flou qui entoure l’après-Brexit. “Personne n’en est sûr, mais ça a l’air d’avoir du sens”, lance le Français, qui a investigué avec d’autres journalistes sur la question.
✅ 31 years living in the UK without a break for more than a few weeks holiday (more years than I lived in France)
✅ originally employed without gaps then started several businesses employing 10s of others and one… https://t.co/EKem9VCK8T— Richard Bertinet (@RichardBertinet) August 24, 2019
Après ce coup d’éclat sur les réseaux sociaux et dans la presse, Richard Bertinet a été rapidement contacté par le Home Office. “On m’a dit qu’on allait résoudre mon problème, mais je n’avais pas mon ordinateur avec moi. On m’a alors demandé de rappeler un numéro, j’ai attendu vingt minutes pour avoir enfin une personne au téléphone, qui finalement n’était pas la plus apte à m’aider”. Le boulanger breton n’a toujours pas eu de retour depuis.
Après 31 ans en Grande-Bretagne, il a le sentiment, avec cette histoire, de ne plus être le bienvenu. “J’ai passé plus de temps ici qu’en France”, rappelle-t-il, “quand je vois ce qui se passe, cela me rappelle ce que me racontait mon grand-père de ses souvenirs de la Seconde guerre mondiale. Ce sentiment de devoir justifier son identité, sa présence, ses origines”. Pire, il a l’impression que ces trois décennies passées ici n’auraient presque pas existé aux yeux du gouvernement britannique. “J’ai ouvert une école de cuisine, où des jeunes du monde entier viennent, j’ai employé des dizaines de personnes. J’ai l’impression que tout ce que j’ai fait ne signifie rien pour eux”, regrette-t-il.
Si, malgré cette situation, il estime tout même être chanceux car soutenu par des personnalités et bien entouré – il est marié à une Britannique, ancienne avocate à la City -, il pense aux ressortissants européens, notamment les personnes âgées, qui ne pourraient pas se débrouiller seuls. “Certains n’osent même pas faire leur demande de peur de la voir rejetée. Cette situation va détruire des vies”, prévient-il.
Car ce qui l’inquiète également, c’est le manque de moyens humains pour traiter tous les dossiers. “Nous sommes 3,5 millions d’Européens sur le sol britannique, et combien encore à devoir faire la démarche ? C’est impossible pour le Home Office de traiter toutes les demandes”. Richard Bertinet s’interroge par ailleurs sur ce qui va se passer après le 31 octobre, surtout que Boris Johnson a déjà émis quelques pistes sur la nouvelle réglementation en termes d’immigration souhaitée après le Brexit. Certes, tout ne changera pas du jour au lendemain, mais la situation pourrait se durcir et les demandes de settled status être ralenties. “Tout est possible”, analyse le Français.
Richard Bertinet va de son côté faire appel de la décision du Home Office, ce qui va lui coûter £80, somme qui pourrait ne pas lui être remboursée si sa nouvelle demande est rejetée. Il invite aujourd’hui tous les ressortissants européens à faire leur démarche au plus vite, pour ne pas se retrouver dans des situations inextricables. Surtout, il appelle les patrons britanniques, européens et autres à “aider leurs employés à remplir leur formulaire afin qu’ils puissent rester”, sans quoi la main d’œuvre dans les secteurs de la restauration ou de la boulangerie par exemple risque de continuer à manquer.