L’expatriation présente un certain nombre de difficultés. Parmi lesquelles, parfois, celle de se faire des amitiés durables avec des locaux, où peut plus aisément se poser la question des barrières linguistiques et culturelles. Mais aussi avec d’autres expatriés, eux aussi souvent de passage.
C’est un fait. Beaucoup de Français (à l’instar d’autres nationalités), lorsqu’ils sont à l’étranger, ont tendance à fréquenter d’autres Français et expatriés d’autres pays. A fortiori dans une grande ville à dimension internationale comme Londres. Pour Maude (*), établie dans la capitale anglaise depuis 2016, les choses s’expliquent aisément. « Les Anglais ont déjà leur cercle d’amis qui est assez développé… Du coup, c’est un peu plus facile de devenir ami avec d’autres expatriés qui, eux, ne connaissent pas encore grand monde à Londres et sont, au final, beaucoup plus ouverts à faire des rencontres. » Et la chose est plus simple avec les Français et francophones, qui ont une langue et des références en commun. « Même si, nuance Jeff, arrivé en 2011, je crois que beaucoup de gens qui viennent s’installer à Londres se disent qu’ils ne doivent pas se retrouver directement entre Français et, avec le temps, ça revient tranquillement.»
Le revers de la médaille étant quand ces amis – français, donc, ou d’autres pays – repartent ailleurs… Une tendance qui a pu être plus prononcée récemment, particulièrement en 2021, période de l’immédiat post-Brexit et de l’épidémie de Covid. Le ministère des Affaires étrangères répertoriait 136,046 ressortissants hexagonaux inscrits au registre des Français établis hors de France, en 2021, au Royaume-Uni. Contre 147,548 en 2019 (en 2022, le chiffre est néanmoins remonté à 142,233).
« Les familles françaises, franco-britanniques, les professionnels installés depuis longtemps ont plus subi la perte d’amis ces dernières années, note en effet Leila Dubois-Barnes, psychothérapeute. Pendant le Brexit et pendant la pandémie, beaucoup de Français sont partis pour des raisons économiques, sanitaires, familiales, liées à la fatigue culturelle…»
Pour Alexia, installée depuis 15 ans, Londres a cela dit toujours été vécue comme une « expérience temporaire » par beaucoup. « C’est une vie relativement pas facile et très chère. » Et l’inflation récente n’a pas dû améliorer les choses. Jeff cite le cas d’amies notamment parties à cause du « niveau de vie » et évoque un changement par rapport aux ‘turnovers’ d’avant, les derniers lui semblant davantage concerner les « connaissances qui étaient là depuis longtemps ».
Bien sûr, ces changements ne sont pas simples à vivre, y compris pour ceux qui restent. « J’ai l’habitude d’avoir un cercle d’amis assez restreint mais très soudé, raconte Maude. Et avoir à se refaire des connaissances tous les 2-3 ans, c’est pas toujours facile. Il faut sortir, se forcer à faire des activités. Alors il y a les réseaux sociaux et les groupes de Français, c’est bien, mais voilà, c’est toujours un peu une épreuve ».
« Tu crées des amitiés solides, te confies, partages cette expérience d’expat’ qui est parfois faite de solitude puis qu’ici, nous n’avons pas notre famille et ce sont justement ces amis qui deviennent notre famille, raconte de son côté Alexia. Je comprends ceux qui ne veulent pas faire toute leur vie à Londres mais il y a eu une période où je n’en pouvais plus de dire au revoir et je ne voulais plus faire la connaissance de personne. »
Certains et certaines se posent aussi même la question d’emboîter le pas à leurs amis. « J’ai trois bons copains qui sont partis ou sont sur le départ cette année. Et me retrouve, encore une fois, seule. D’autant que je n’ai pas de conjoint, confie Audrey, à Londres depuis 7 ans. Au point de vraiment me poser la question de rentrer en France, où les gens – étant dans leur pays – ont tendance à rester et où je pourrai être plus proche de ma famille et de mes amis d’enfance. »
Mais partir n’est bien sûr pas toujours une solution. Beaucoup ont justement des conjoints (pas forcément français), des enfants bien intégrés. Sans compter que, selon les secteurs, le fait de retrouver un emploi en France peut ne pas être simple. Certains ont aussi monté des entreprises, sont assez ancrés à Londres. « Ces départs font réfléchir mais non, ça ne me fait pas changer d’avis. Surtout que le travail accompli ici, ces dernières années, pourrait avoir un arrière-goût de ‘tout ça pour rien’, à mon sens, s’il était abandonné si tôt », indique Jeff, travaillant dans le secteur culturel.
Pour Sara, arrivée il y a 5 ans, la question de rentrer à Paris ne se pose vraiment pas. « Je gagne mieux ma vie, me sens plus à l’aise ici et trouve que les gens sont plus ouverts. Et puis cela reste quand même très facile de rencontrer du monde, malgré le ‘turnover’. » Pour autant, elle reconnaît qu’elle cherche désormais plus à se lier aux gens ayant pour projet de rester quelque peu. Un aspect qu’Alexia juge plus facile avec l’âge. « Je pense que ce phénomène de rencontrer des gens temporairement était beaucoup plus présent entre 20 et 30 ans. Cela devient plus facile dans la trentaine. Ceux qui ne viennent que pour l’expérience sont déjà repartis. »
« Si l’expatriation est enrichissante, elle peut être aussi usante », note la psychothérapeute Leila Dubois-Barnes, qui conseille de s’autoriser des retours réguliers dans son pays d’origine. « La perte d’amis peut s’accompagner de sentiments d’abandon, de manque de base sécurisante voire raviver des ruptures ou des deuils. » La professionnelle suggère de s’interroger sur ses réactions, mais aussi de verbaliser son ressenti, éventuellement à l’ami qui part et de conserver des liens au-delà du départ par le biais de messages, d’appels et, bien sûr, de réfléchir à des retrouvailles à un endroit donné. Un point qui séduit particulièrement Sara, désormais avec des amis dans divers pays (Canada, Suisse, France, Espagne) et qui préfère voir les choses de manière résolument positive. « C’est bien, c’est inspirant ! Et ça permet de tisser un réseau un peu partout dans le monde. »
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(*) Le nom de la personne n’a pas été précisé, à sa demande