A tout juste 29 ans, elle vient d’être nommée “The Disruptor of the year” lors des Women in Finance Awards. Une belle récompense pour celle qui a fait de l’égalité homme-femme un combat de longue date à la fois personnel et professionnel. Chloé Chambraud s’intéresse à cette question depuis son plus jeune âge et s’engage aujourd’hui dans un challenge de taille : travailler auprès de gouvernements et d’entreprises pour faire bouger les lignes sur cette question des plus actuelles.
On est d’abord venu la chercher pour lui demander de postuler à ce prix, organisé par GrowthBusiness.co.uk and et le magazine What Investment et remis chaque année aux femmes entrepreneurs les plus inspirantes. “Au départ, j’ai dit non car je trouvais cela très bizarre de devoir postuler moi-même”, raconte la Française. Mais elle finit par céder. “On m’a expliqué que cela serait bon que le travail sur ma dernière campagne soit reconnu”. Chloé Chambraud finit donc par postuler dans la catégorie “The Disruptor of the year”, qui pourrait être traduit par “innovatrice de l’année”. Et elle a bien fait.
La Française travaille depuis quatre ans au sein de l’association “Business in the Community”, qui collabore avec de grandes entreprises (750 au total dont 150 membres de la campagne égalité des genres et regroupant 4 millions d’employés) sur des campagnes de sensibilisation sur la question du genre. Au départ chargée de recherche, elle décroche le poste de directrice à 27 ans, face à 49 autres candidats. “Ce que j’aime à Londres, c’est que ni le fait que je sois française ou jeune n’ait freiné cette promotion”, reconnaît-elle. Contrairement en France, où les diplômes (sur ce point, elle n’avait de toute façon pas trop de souci à se faire) priment avant tout. “On a tendance à regarder davantage le passé que le futur ainsi que le potentiel des personnes”, regrette-t-elle.
Une fois à ce poste, elle lance une campagne qui lui “tient à cœur” : mettre de l’égalité dans la gestion des tâches domestiques et de la garde des enfants. “En Angleterre, 40% du salaire commun dans un couple est consacré à la garde des enfants. C’est le pays le plus cher de tous les pays de l’OCDE”, avance Chloé Chambraud. Un problème de taille qui freine la progression au travail. “On ne peut pas s’attendre à ce que les femmes soient les PDG à la maison et en entreprise. C’est impossible de gérer ces charges mentales”. La Française souhaitait donc mettre tout cela en lumière. “Tant que l’on n’aide pas les hommes dès les premiers mois de la naissance de l’enfant à s’investir dans la sphère domestique, des habitudes s’installent et elles seront difficiles à renverser par la suite”, pense la jeune femme.
Plus qu’un problème éducationnel, cela relève davantage de politiques mises en place pour créer une manière de penser plus égalitaire. “En moyenne, les femmes ont 26 fois plus de congé parental que les hommes.. Le système est ainsi structuré de manière à ce que l’on crée ces habitudes, même si on n’en veut pas”, explique la Française, “on a inscrit dans nos politiques l’idée et la croyance que les femmes sont les principales responsables du foyer et des enfants”. Même problème au sein des couples gays, où les parents doivent choisir qui est le “primary caregiver”. “On a donc transférer cette logique même quand la question du genre n’existe plus”.
La solution ? Donner les mêmes droits aux hommes de congé parental. Selon les études, confie Chloé Chambraud, quand les pères ont des moments privilégiés seul avec leur enfant, il développe davantage de capacités. “Je ne crois pas à l’instinct maternel,, c’est simplement que les enfants passent plus de temps avec leur mère et donc elles deviennent plus impliquées par la force des choses”. Même constat chez les couples gays. Parmi les réponses à apporter pour les entreprises, développer le travail à la maison, mais aussi choisir ses horaires ou travailler sur des semaines compressées… Ce projet a donc été mis en place par la Française pour mettre plus d’égalité et arrêter de faire porter aux femmes la responsabilité de leur non-progression au travail.
De nature impatiente, avoue-t-elle, cette campagne aura mis un an seulement à être lancée. Des recherches ont été réalisées, notamment à travers un questionnaire qui a circulé par le biais des entreprises avec lesquelles Business in Community travaille. “C’était un questionnaire très long, académique et qui prenait 20 minutes à remplir”, détaille la directrice, “on a eu 10.000 réponses venant d’hommes comme de femmes. Ce qui veut dire que les gens s’emparent de cette question d’égalité”.
Chloé Chambraud a aussi mené d’autres projets, qui lui ont valu ce prix d’innovatrice de l’année. Si l’Angleterre est en avance sur les programmes de diversité et d’inclusion dans les entreprises, ils restent fixés à des bases légales et se cantonnent à des catégories : race, genre, orientations sexuelles… Mais changer la culture de l’entreprise devrait être aussi important pour éviter les micro-agressions entre les collègues. “Cela peut être demander aux femmes faire le café quand on est en réunion, des femmes noires à qui on touche les cheveux, ou des femmes enceintes à qui on touche le ventre, des gens à qui ont fait des remarques sur leur accent, quand les gens ne se souviennent pas de notre nom ou qu’on nous fait remarquer qu’il est trop compliqué à prononcer… Plein de petites choses qui peuvent dévaloriser les personnes”, analyse Chloé Chambraud, qui n’oublie pas non plus le degré supérieur de ces remarques : le harcèlement sexuel et moral. “On en parle un peu plus avec le mouvement #metoo mais les choses n’ont pas beaucoup bougé”. Elle souhaitait donc comprendre les comportements qui faisaient que les employés se sentaient inclus ou non au sein de l’entreprise et ainsi faire en sorte que cela change, en donnant des outils pratiques aux sociétés.
C’est en allant à une réunion féministe, vers ses 18 ans, que la jeune femme s’est investie dans la cause égalitaire. “J’avais une question qui me taraudait : “pourquoi à travers le temps et les pays, les femmes se retrouvent-elles toujours en situation d’infériorité ?”. Je trouvais cela insupportable”, explique-t-elle.
Après une prépa à Paris, elle enchaîne avec une licence d’anglais avant de prendre la direction de Lille pour un master en conflit et développement à Sciences Po. En parallèle, elle étudie la sociologie. “J’avais déjà envie de travailler sur l’international, de changer la vie des femmes à l’échelle globale”, raconte Chloé Chambraud. Elle partira d’ailleurs après ses études aux îles Fidji pour travailler avec l’ONU Femmes. “C’est un pays où la violence faite aux femmes atteint un niveau des plus élevés”, commente-t-elle. Elle est alors assistante dans le cadre du programme d’élimination des violences faites aux femmes. “Je me suis rendue compte que les programmes n’étaient pas forcément adaptés à la culture du pays. Il faut donc la comprendre pour faire bouger les lignes”.
Chloé Chambraud débarque donc à Londres pour faire un master en anthropologie sociale la London School of Economics. Avant de partir en Thaïlande pour effectuer son service civique et appliquer ces nouvelles compétences. Elle crée alors une entreprise sociale dans un foyer d’accueil de femmes victimes de violence, qui fabriquaient des souvenirs pour les touristes. “Je me suis alors rendue compte de l’importance des entreprises, où on y passe une énorme partie de notre vie. Si le travail est agréable et reconnaissant, cela peut nous rendre heureux”.
Chloé Chambraud va désormais travailler pour la Behavioral Insights Team (connue aussi sous le nom de “Nudge Unit”). “J’avais envie d’aider d’autres pays qui en ont besoin”, lance-t-elle. Elle collaborera avec différents gouvernements et organisations internationales sur des projets visant à prévenir les mariages précoces, lutter contre l’évasion fiscale ou promouvoir des processus de paix dans des zones de conflits. Avoir un vrai impact et changer les comportements pour le bien-être de chacun, un grand challenge, que la jeune femme me manquera pas de relever une nouvelle fois.