Jeudi 12 décembre, les électeurs de tout le Royaume-Uni sont appelés aux urnes pour élire leurs députés et ainsi constituer une nouvelle majorité qui les amènera (ou non) vers la sortie du pays de l’Union européenne, programmée le 31 janvier 2020. Parmi les votants, des Français qui ont acquis la nationalité britannique. Conservateurs, travaillistes, libéraux-démocrates, nationalistes écossais… Chacun sa préférence, chacun ses raisons.
Didier Delmer a fait son choix : il votera pour Ian Duncan Smith, le candidat sortant conservateur de sa circonscription de Chingford, dans le nord-est du Grand Londres. Il tentera ainsi d’assurer à Boris Johnson une majorité au sein du prochain Parlement britannique. S’il soutient autant l’actuel Premier ministre britannique, c’est parce qu’il a travaillé à ses côtés en 2008, quand l’homme politique était alors maire de Londres. Il était son conseiller à la gestion de Londoner & Partners, le bras marketing de la municipalité. L’objectif : attirer les entreprises dans la capitale anglaise. Un poste qu’il occupera une fois par semaine, et ce, pendant six ans. A ses côtés, il a appris que “Boris Johnson transcende les partis politiques avec son style, son humour. Il a quelque chose en plus”.
Ce Français, qui a aussi la nationalité britannique et américaine, est un membre du parti conservateur depuis 1983, soit l’année où il a débarqué en Angleterre, à Birmingham plus exactement. “Mes parents m’ont envoyé faire mes études ici, car ils ne voulaient pas que je vive dans la France de Mitterrand”, lance-t-il. Né dans l’Hexagone d’un père américain et d’une mère française, il affirme haut et fort qu’il est un fervent supporteur du Brexit. Il a même voté “pour” lors du référendum de 2016 et créé, à l’époque, un site pour militer en faveur de la sortie du pays de l’UE. Pour les élections générales, le Français a donc à nouveau pris son bâton de pèlerin pour faire du porte à porte et convaincre les habitants de sa circonscription de voter pour le candidat de droite. Son militantisme passe aussi par les réseaux sociaux où il est très actif.
Ce chef d’entreprise, dont la mission depuis 16 ans est d’aider les entrepreneurs français à s’installer outre-Manche, se défend d’être anti-européen, mais regarde l’Europe actuelle comme “un désastre”. “Essayer de créer les Etats-Unis d’Europe, c’est oublier que les peuples européens sont différents. On a des langues et des cultures différentes”. Didier Delmer estime également que c’est le droit du Royaume-Uni de retrouver sa souveraineté et que rien ne changera pour les citoyens européens, assure-t-il. “L’installation sera même plus simple, il ne faudra qu’un simple visa”. Il a déjà aidé 700 entrepreneurs à s’expatrier, raconte-t-il, et entre 70 et 100 autres par an manifestent leur intérêt à venir s’installer sur le sol britannique. Une preuve pour lui que la perspective d’un Brexit ne freine pas le business. “Cet été, j’ai même été débordé de travail”, insiste-t-il, “et cette dynamique restera la même après la sortie”.
Didier Delmer est certain qu’à la suite des élections du 12 décembre, le divorce entre les deux parties sera effectif le 31 janvier. “Un no-deal est aussi plus qu’évident”, ajoute le Français. Tant pis (ou même tant mieux, selon lui) si l’Ecosse prend ensuite son indépendance et que l’Irlande du Nord se réunifie à terme avec la République d’Irlande. “L’Angleterre, c’est 80% du PIB du Royaume-Uni, alors bon…”.
Florence Mele, elle, donnera sa voix au Green Party dans la circonscription de Dulwich, dans le sud de Londres. La Française, qui a obtenu sa nationalité britannique en novembre dernier, va voter pour la première fois aux élections générales. “Chaque voix compte”, confie-t-elle, avant de rappeler les bases du système électoral britannique, “ici, c’est la logique du “first-past-the-vote voting” donc c’est le candidat qui rassemble le plus de voix qui l’emporte. Cela peut donc se jouer à un vote”. Elle fait d’ailleurs du porte à porte pour convaincre les électeurs de sa circonscription de se déplacer jeudi 12 décembre.
Si elle se dit davantage proche des Lib-Dem (libéraux-démocrates), elle a fait le choix du parti écolo, suite à l’accord entre les deux groupes politiques britanniques d’unir leurs forces sur certaines circonscriptions. “On est face à des alternatives épouvantables”, lance Florence Mele, “Boris Johnson est instable et manipulé par ses conseillers, et Jeremy Corbyn est un marxiste d’une autre époque. L’un comme l’autre serait une catastrophe pour le pays”. L’objectif alors serait, en votant pour les Lib-Dem ou le Green Party, de rééquilibrer le Parlement. Elle espère même que ces élections aboutiront à un “Hung Parliament”, législature dans laquelle aucun parti ne dispose de la majorité absolue. “Il faudrait un deuxième référendum, les électeurs pourraient alors décider des modalités de la sortie ou de ne plus sortir du tout”, détaille Florence Mele.
Mais qu’est-ce qui lui ferait croire que les électeurs britanniques choisiraient de faire machine arrière ? “Ils savent dorénavant ce qui se passe. Ils se rendent compte de plus en plus des conséquences d’un Brexit sur leur vie, leur emploi, leur liberté de mouvement, l’inflation”, raconte la Française. Pour elle, la sortie “soi-disant ordonnée” du Royaume-Uni prendra une décennie. “Ce sera le chaos total. Rien ne pourrait être décidé le temps des négociations. Le gouvernement sera obligé d’augmenter les impôts. Il devra embaucher des fonctionnaires pour gérer les changements, ce qui va faire pression sur les finances publiques. Il y aura des effet sur la croissance alors qu’on est déjà presqu’en récession actuellement”. Une situation “angoissante”, c’est pourquoi Florence Mele appelle tous les Français pouvant voter à donner de leur voix. “Il faut oublier le vote tactique et voter pour ses convictions et son éthique. Quand on est pro-européen, il faut voter pour un parti pro-européen”.
Isabelle Vergeron a de son côté décidé de jouer la carte du vote tactique. Cette habitante de Southampton, ville portuaire du sud de l’Angleterre, donnera sa voix pour le candidat Labour, Alan Whitehead, pour tenter de faire nommer Jeremy Corbyn nouveau Premier ministre britannique. “J’ai longtemps tergiversé”, avoue la Française, “au départ, je voulais voter Lib-Dem, mais finalement je me suis aperçue qu’il était préférable de choisir le parti travailliste”. Elle reconnaît volontiers que le chef du parti de la gauche a longtemps été peu clair dans ses positions européennes et sur le Brexit. “C’est ni oui, ni non avec lui. Mais si les électeurs agissent tactiquement, ils pourront élire des députés pro-européens et il sera obligé de proposer un deuxième référendum sur la sortie”, espère Isabelle Vergeron.
La Française, vivant en Angleterre depuis 16 ans, a obtenu sa nationalité britannique en mai 2018 par peur des conséquences du Brexit. “Je l’ai fait parce que je n’avais pas le choix. Mon fils a 20 ans et a la double nationalité. Il va faire sa vie ici et il faut que je puisse avoir la possibilité, si je le souhaite à l’avenir, de pouvoir faire des allers-retours entre l’Angleterre et la France”, justifie-t-elle. Elle a donc pris son “courage à deux mains”, “parce que demander sa nationalité britannique est un long parcours de combattant et, qui plus est, très cher”.
Mais c’est un aujourd’hui son sésame pour participer au destin historique d’un pays. “J’espère que le pays fera marche arrière sur le Brexit. Sortir de l’Union européenne est trop complexe, cela va être bien compliqué de sortir de 46 ans d’accords commerciaux et surtout en recréer des nouveaux. Le fameux “Get Brexit done” n’est qu’une propagande de plus. Vous savez combien de temps a mis le Canada pour faire son accord commercial avec l’Europe ? 7 ans. Et l’Amérique du Sud ? 10 ans”, rappelle Isabelle Vergeron, qui se méfie de Boris Johnson comme de la peste. “Il fait semblant de passer pour le bonhomme jovial avec sa tête décoiffée. Mais il ne fait que jouer un rôle. Il est très dangereux”.
Si certains Français auront donc la chance de s’exprimer dans les urnes jeudi 12 décembre pour ces élections générales, d’autres, faute de nationalité britannique, ont décidé de s’investir autrement. C’est le cas de Jérémie Fernandes. Ce Français installé en Ecosse s’est impliqué dans la campagne du SNP, parti national écossais, dès l’annonce de ce scrutin car sa compagne, Laura Mitchell, se présente sur la circonscription de Moray. Le jeune homme fait donc du porte à porte pour soutenir cette candidature. “Le résultat de ces élections est très important pour l’Ecosse, ça va dessiner les choses pour la suite”, confie-t-il. Un enjeu, qui le pousse – avec l’équipe de volontaires et de militants – à faire le tour des villes et villages du secteur pour parler aux gens. “Ceux qui veulent discuter avec nous sont déjà convaincus. Mais il y en a d’autres, qui ont voté Brexit, avec qui il est aussi intéressant d’échanger”.
En tant que Français, il peut ainsi expliquer que les citoyens européens sont comme les Britanniques : ils sont investis dans leur pays d’adoption et paient des impôts. “Cela leur permet de mettre un visage sur ce concept d’immigration européenne qui est au cœur de certains argumentaires pro-Brexit”, confie Jérémie Fernandes. Cela en fait réfléchir certains, ajoute-t-il, bien qu’il n’est pas totalement persuadé de faire évoluer les mentalités.
Véronique Martin fait elle aussi du porte à porte et distribue des prospectus pour la candidate Lib-Dem, Vera Hobhouse. Si elle pouvait voter, bien évidemment, elle lui donnerait sa voix. Pour la Française, il y a des fortes chances que la sortante soit réélue puisque la circonscription est un fief du parti de centre-gauche. “M’investir ainsi dans la campagne est une manière de compenser le fait que je ne pourrai pas aller voter”, confirme Véronique Martin, “mais j’aimerais tellement pouvoir faire plus”.
Elle tente malgré tout, avec les leviers qu’elle a, de changer la donne. Elle raconte ainsi qu’elle et son mari ont distribué, jeudi 5 décembre, “des prospectus contre l’affreux candidat Tory, Jacob Rees-Mogg, dans les boîtes aux lettres d’une petite ville qui est dans sa circonscription, à North East Somerset. Ce n’était pour aucun parti politique, c’était juste un geste anti-Brexit et anti-Mogg”. L’action avait été organisée par le groupe local “Bath for Europe” et 200 documents ont été distribués, “malgré le froid et la nuit”. Une autre tournée devrait avoir lieu la semaine suivante.
Très active sur les réseaux sociaux, Véronique Martin partage également tous les jours des articles traitant des conséquences du Brexit sur les citoyens européens. Elle connaît bien le sujet puisqu’elle avait écrit un livre avec son amie Elena Remigi, In Limbo, sur les agressions qu’ont pu subir certains ressortissants de l’UE depuis le référendum de 2016. “Il faut que les gens votent bien car tout le monde risque de perdre gros, notamment sur le système de santé et pire encore, sur l’indépendance du pays qui pourrait devenir la marionnette des Etats-Unis et de la Russie”.