“Quand j’ai appris la nouvelle, ça m’a fait un choc”, confie Marlène*. Cette maman française, dont deux des enfants sont scolarisés dans une des écoles primaires appartenant au Lycée français Charles de Gaulle, a eu du mal à croire que l’établissement vient de se faire rétrograder par l’Ofsted, organisme chargé d’inspecter et noter les établissements scolaires du Royaume-Uni.
Le Lycée français est en effet passé de “Good”, note obtenue lors de l’inspection de juin 2018, à “Inadequate” selon le rapport émis par l’Ofsted fin janvier dernier après son inspection réalisée fin novembre 2022. “Incompréhensible” pour Louise*, dont le fils de 15 ans est inscrit au LFCG. “Cela n’a pas de sens, surtout que sur la majorité des points inspectés, et les plus importants à savoir la qualité de l’éducation, l’Ofsted a attribué une note de ‘good’ ce qui fait que la note générale est incohérente”.
En effet, l’organisme juge six points différents lors de son inspection : la qualité de l’éducation, le comportement et l’attitude des enfants, l’enseignement pour les petits, l’enseignement des 16-19 ans, le développement personnel des enfants et le leadership et management. Si le lycée a obtenu “good” sur les quatre premiers, ce ne fut pas le cas pour les deux derniers. Pour l’Ofsted, la partie développement personnel “nécessite des améliorations” tandis que celle du leadership et management est qualifiée d’”inadequate”. Sauf qu’il suffit d’un “inadequate” dans le rapport pour que la note globale dégringole.
Dans le rapport, l’organisme explique qu’”il y a trop de faiblesses dans la façon dont les dirigeants travaillent pour assurer la sécurité des élèves” ; “la politique d’encadrement de l’école ne répond pas exactement aux exigences des directives légales” ; “les dirigeants ne tiennent pas suffisamment compte du risque lorsqu’ils prennent des décisions, par exemple en permettant aux élèves les plus âgés de sortir du site pendant la journée” ; “parfois, les enseignants ne vérifient pas systématiquement que les élèves ont bien compris ce qui leur a été enseigné. Lorsque cela se produit, les enseignants peuvent avancer trop rapidement et quelques élèves peuvent prendre du retard” ; “certains élèves disent que l’école n’en fait pas assez pour les aider à développer leur santé physique, émotionnelle et mentale”… Et ce, pour ne citer que quelques exemples énoncés dans le document de 15 pages, publié le 25 janvier dernier.
“Ce bilan est positif pour la qualité de l’éducation mais la mention globale est une déception pour l’établissement et la communauté scolaire car la protection, la sécurité et le bien-être des élèves ont toujours été et continuent de constituer une priorité”, reconnaît le proviseur de l’établissement, Didier Devilard, qui voit tout de même cette inspection comme “un défi qui va nous conduire à nous améliorer encore, au-delà des standards exigés en France”. Un travail que l’établissement, “désormais dans le temps de l’action pour renouer le plus rapidement possible avec les standards anglais” a “déjà engagé avec détermination et en associant toutes les composantes de notre communauté scolaire”.
Le Lycée français, fondé en 1915 et qui compte aujourd’hui 3420 élèves et 480 membres du personnel, enseignants et non-enseignants, répartis sur ses quatre sites, a convoqué un conseil d’établissement extraordinaire, le 8 février (juste avant les vacances), dans la foulée de la publication du rapport. Karen Bargues, présidente de l’Association des Parents d’Elèves, y a assisté. “C’est vrai que personne ne s’attendait à cette notation. C’est une école inclusive, où il n’y a pas de tests d’entrée, et avec 100% de réussite au bac. Évidemment, il peut y avoir, comme dans n’importe quelle école, des choses à améliorer, mais de là à avoir cette note”, souligne-t-elle, “mais très rapidement, on a compris que l’Ofsted avait durci sa notation après la pandémie de Covid”. Ce que confirme Didier Devilard : “Les contrôleurs nous ont informés, en début de visite, que l’Ofsted avait renforcé ses exigences et que l’audit serait très sensiblement différent de celui opéré quatre ans auparavant”.
De nombreuses écoles ont vu en effet leur note rétrogradée. Le Collège Français Bilingue de Londres est par exemple passé de “Outstanding” à “Good”. “Les dirigeants du lycée auraient peut-être dû, au moment où ils ont eu vent de ces nouveaux textes de loi qui ont changé, travailler davantage sur les points à améliorer dans les écoles. L’administration a vraiment essayé de faire son maximum pour récupérer le retard, un travail avait d’ailleurs déjà débuté il y a six-sept mois, mais au vu de la taille de notre école, le temps n’aura pas suffi”, avance Karen Bargues.
Ce que confirme la direction du LFCG qui “avait rédigé et publié un certain nombre de nouveaux documents obligatoires” et avait “engagé des formations nouvelles mais l’inspection Ofsted est arrivée plus vite qu’anticipé”. Malgré ces efforts, le rapport de l’Ofsted reproche à l’établissement “de ne pas disposer d’un fichier unique centralisant les incidents de vie scolaire susceptibles de survenir sur chaque site, de ne pas avoir aménagé (dans deux écoles primaires annexes) d’espaces infirmerie en adéquation avec les nouvelles recommandations ou encore de ne pas disposer d’un « risk assessment » précisant les conditions dans lesquelles lycéennes et lycéens sont autorisés à sortir de l’établissement lorsqu’elles et ils n’ont pas cours (selon les règles françaises, l’autorisation des parents est suffisante)”. Pourtant, ces remarques n’avaient jamais été formulées, explique le proviseur, dans le rapport précédent et datant de 2018, “alors que locaux, usages et nombre de procédures étaient identiques à ce qu’ils sont actuellement”.
Ce qui rassure Karen Bargues et la majorité des parents, c’est que sur les points importants comme la qualité de l’éducation, le comportement et l’attitude des élèves, l’Ofsted a mis une bonne note. D’ailleurs, dans le rapport, de nombreux points positifs sont mis en avant, comme le bien-être et le bon comportement des enfants, la diversité des enseignements en langues, les résultats au bac et aux A-Levels… Pour la présidente de l’APL, la mauvaise note globale est surtout due “à des différences entre les standards français et britanniques”. “Par exemple, dans le système scolaire français, nous n’enregistrons pas les petits incidents entre élèves. Comme quand un enfant de quatre ans en griffe un autre. On va appeler les parents et régler le problème. Mais on ne répertorie rien”, explique Karen Bargues. A contrario, les Britanniques, eux, consignent tout. “Même en cas de griffure entre deux jeunes enfants, il y aura un rapport de trois pages”.
Le Lycée a donc décidé de se doter d’un logiciel pour répertorier le moindre incident qui se déroulerait au sein de l’établissement pour tous les élèves âgés de 3 à 18 ans. Un logiciel déjà commandé et qui devrait être livré dans deux mois. Si cette mesure a pu effrayer certains parents, mis au courant par la direction lors des réunions d’informations organisées en février, ils ont vite été rassurés. “Ils se demandaient si un petit incident qui se serait produit à l’âge de 3 ans pourrait avoir des conséquences sur l’entrée dans un grande université”, raconte Karen Bargues, “mais l’Ofsted a expliqué que ce fichage avait vocation à rester interne à l’école et qu’il servirait surtout comme marqueur de progression sur les problématiques par exemple d’agressions physiques, verbales, racistes ou autres”.
Autre mesure qui va être immédiatement prise suite à cette inspection, la mise en place d’un système de badges pour les élèves. “En France, un élève peut sortir de son établissement entre midi et deux heures en présentant simplement son carnet de correspondance, l’assurance parentale couvrant les risques extérieurs à l’école. Si l’Ofsted ne nous avait fait aucune remarque là-dessus il y a cinq ans, cela n’a pas été le cas pour cette inspection”. En effet, c’est sur ce point de “safeguarding”, que l’organisme a dressé la note “inadequate”. “Sur le moment, on ne comprend pas vraiment, puis en réfléchissant, on se dit que l’Ofsted n’a pas tort. En cas d’attentat ou d’accident dans l’établissement, grâce à ce système de badge, on saura alors qui est ou pas à l’intérieur des locaux”, estime Karen Bargues.
Le LFCG a ainsi lancé un plan d’actions, que la direction est en train de finaliser avec l’appui de trois experts, dont une ancienne inspectrice de l’Ofsted. “Une version initiale de ce plan a été présentée dans les instances représentatives de l’établissement avant les congés d’hiver. La version finale sera transmise au DfE (Department for Education) début mars”, explique le proviseur, “notre objectif est bien sûr de faire constater par l’Ofsted que ses recommandations ont été suivies d’effet”.
L’équipe en charge du safeguarding va ainsi être renforcée “pour respecter complètement les règles anglaises en la matière, tout en continuant d’appliquer les règles françaises, déjà exigeantes. L’établissement va notamment recruter une personne hautement qualifiée à plein temps en matière de safeguarding et qui s’attachera également à suivre très précisément l’évolution des ‘guidances’ destinées aux écoles indépendantes”, détaille Didier Devilard.
Ce plan d’actions, dont les résultats devraient être visibles avant la fin de l’année scolaire, sera ensuite suivi d’“un temps plus long de manière à s’assurer que les évolutions imprimées par le plan d’action soient pérennes”, poursuit le proviseur, “notre objectif est toujours d’atteindre de hauts standards, non seulement dans la qualité de l’éducation, mais aussi dans le bien-être des élèves et des personnels, tout au long des années à venir”.
La présidente de l’APL reconnaît néanmoins que cette notation peut jeter “une ombre sur la réputation de l’établissement” et peut être “rédhibitoire” aux yeux de certains parents. Mais elle estime aussi que, “même si on ne connaît pas encore l’impact de cette inspection”, le LFCG reste tout de même une référence. Avec la présence de familles françaises, bi-nationales, mais aussi issues de plus de 40 nationalités différentes, “une éducation d’excellence avec un taux de réussite au bac de 100%, une école inclusive sans test d’entrée, une mixité sociale et culturelle, la richesse des cours qui font que nos élèves ont un profil qui continuent à intéresser les universités britanniques”… pour Karen Bargues, cela a aussi un impact. “On va peut-être être encore meilleur grâce à ces améliorations, et prendre ainsi le meilleur des deux mondes”, pense-t-elle. L’association promet de garder un œil sur l’évolution de ce plan d’actions.
Cependant, l’association s’est déjà rapprochée de la direction de l’AEFE pour demander un soutien financier, en cas de diminution du nombre d’inscriptions pour la rentrée prochaine mais aussi en cas de hausse des frais de scolarité dûs aux travaux que l’établissement va lancer pour se mettre aux normes de l’Ofsted. “On en avait déjà eu après le Brexit car beaucoup de Français étaient partis de Londres”, se souvient Karen Bargues. Car parmi les missions de l’APL, l’association soutient financièrement les familles en difficulté et ainsi permettre aux enfants de continuer leur scolarité. L’an dernier, 80 élèves avaient ainsi été aidés. Elle organise d’ailleurs son gala annuel vendredi 17 mars prochain pour lever des fonds.
Du côté de la direction, si elle reconnaît qu’il existe “des marges de progrès”, l’établissement reste “plébiscité par les parents d’élèves dans l’enquête Ofsted conduite auprès de 500 parents”. “Les élèves s’y sentent en sécurité à un niveau très élevé (95%). Notre excellence académique est remarquable pour un établissement non sélectif (100 % de réussite au Bac et 65 % de mention Très Bien dont 25 % avec Félicitations de jury). Ces éléments factuels sont des forces et des jugements très positifs pour la réputation de l’établissement, dont les parents sont sans doute les meilleurs avocats”, estime Didier Devilard.
Le LFCG va par ailleurs demander une visite de contrôle d’Ofsted “sans doute avant la fin de l’année scolaire” pour “vérifier la bonne exécution du plan d’action(s)”. “Puis, après que nous aurons renoué avec les standards, nous solliciterons une nouvelle inspection générale, dont nous espérons qu’elle pourrait se dérouler l’année scolaire prochaine”.
*Prénoms modifiés à la demande des interviewées
—————————————-
Crédit photo : Roberto La Rosa / Shutterstock.com
Pour lire le rapport : ici