À seulement 25 ans, la Française Juliette Souliman vient de recevoir le prix de “Rising Star of the Year” aux Women in Finance Awards. Créatrice d’entreprise à 19 ans et bardée de diplômes, la jeune femme, qui travaille actuellement pour une société de financement de start-ups à Londres, a réussi à se construire une place dans un monde très masculin et n’a pas peur de casser les codes.
C’est dans le milieu de l’entreprenariat qu’elle a fait ses premières armes. Nantaise de naissance, elle a fait une classe préparatoire en France, puis un Bachelor de Business international à Rotterdam aux Pays-Bas. À 19 ans, elle crée sa première entreprise, Js Translation, une plateforme de traduction pour mettre en relation les entreprises anglaises qui n’ont pas besoin d’un traducteur accrédité et des étudiants bilingues qui veulent travailler en freelance. Elle a travaillé notamment pour Primark lorsque la marque s’est lancée en France. Elle a traduit toute la signalétique des magasins, “un peu marrant pour une dyslexique !”
L’aventure durera un an et demi. Ensuite, elle travaillera avec beaucoup de jeunes start-ups pour les aider à se développer aux Pays-Bas et dans les pays francophones. Elle part aux États-Unis pour se spécialiser dans le financement à haut risque, puis débarque enfin dans la City de Londres il y a 2 ans. Elle retente l’aventure de l’entreprenariat en créant une seconde entreprise, un marketplace pour les événements d’endurance, mais cela ne fonctionne pas. Finalement, elle passe “du côté obscur de l’industrie”, selon ses propres mots, dans les domaines du financement et de l’investissement, chez Octopus Ventures.
Cela fait maintenant un an et demi qu’elle travaille chez Octopus Ventures, qui est donc un “venture capital” (VC). La société œuvre dans trois secteurs : la robotique, la healthtech et la fintech. Le rôle de Juliette Souliman, spécialisée dans la fintech et l’insurtech, est de “découvrir les start-ups, évaluer le marché pour voir s’il y a un potentiel puis les intégrer à notre portfolio.” C’est une aubaine pour elle, qui a justement été de l’autre côté de ce processus par le passé. “Ayant été entrepreneuse, je voulais vraiment travailler avec un VC qui se mettait à la même hauteur que l’entrepreneur et qui était plus un partenaire qu’une source de capitaux.”
Sa vision des choses peut se résumer en une phrase : “Smart money versus cheap money”, complètement aux antipodes des clichés que l’on pourrait avoir sur le monde de la finance. “Je ne voulais pas rentrer dans le côté ‘bad guys’, on peut penser que c’est un petit peu ça, mais c’est surtout pas le cas avec Octopus.”
La jeune Nantaise sort d’ailleurs volontiers des codes du monde “corporate”, au profit de ceux des start-ups, puisqu’elle a récemment fait du gin tasting dans le cadre de son travail : “On a souvent cette idée de ‘je vais faire un golf, prendre un café, etc.’ C’est justement très important de sortir de ce cadre. Par exemple, aller faire du spinning à 6h du matin avec un smoothie au brocoli ! C’est comme ça qu’on voit avec qui on a envie de bosser.”
Le prix de “Rising Star of the Year”, qui lui a été attribué aux Women in Finance Awards, organisés par Growth Business et le magazine What Investment, est, pour elle, une véritable opportunité pour promouvoir la diversité au sein d’une industrie encore assez masculine. Elle a été nominée par les organisateurs, puis récompensée lors de la cérémonie qui s’est tenue le mercredi 26 juin. Un prix qui, justement, l’aidera à évoluer dans la finance. “Ça m’apporte de la crédibilité vis à vis des clients. Je suis relativement jeune et j’ai une tête de bébé, donc c’est vrai que d’avoir ce prix donne ‘un peu de bouteille’ comme on dit.”
De plus, par sa position, Juliette Souliman a le pouvoir de changer les choses. “En tant que VC, on a ce privilège de soutenir des entrepreneurs, et donc un peu de ce fait, de décider qui seront les business de demain.” Elle estime que l’uns des plus gros problèmes de l’industrie est le faible nombre d’investissements accordés aux start-ups créées par des femmes, moins de 3% l’année dernière en Angleterre selon elle. Pourtant, ces entreprises ont un gros potentiel. Elle cite l’exemple d’Elvie, la plus grosse success story d’Octopus et l’une des “femtech” (une start-up spécialisée dans les technologies ayant un rapport avec les femmes, ndlr) les plus capitalisées au monde, qui a créé une pompe à lait et des entraînements pour les muscles pelviens. “Ces technologies ont tout intérêt à être construites par des femmes qui ont une compréhension inhérente du marché.”
En ce qui concerne son propre parcours, “il y a des challenges qui sont toujours là. Dans un monde dominé par le modèle ‘homme, blanc, la cinquantaine’, ça peut être difficile de créer une relation. Pas forcément par sexisme intrinsèque envers les femmes, mais par crédibilité. C’est difficile de créer des liens avec un homme blanc de 50 ans, versus une jeune entrepreneuse de 30 ans.” Ses conseils : bien s’entourer et se rappeler qu’on peut choisir pour qui on travaille. “Si les gens sont pas cools avec vous, pourquoi leur créer de la valeur ?”
Cependant, l’avenir s’annonce positif, car selon la Française, la finance devient de plus en plus inclusive, notamment grâce à la nouvelle vague de jeunes entrepreneurs. “C’est encore un monde niche, fermé, assez traditionnel et qui a besoin de grandir. Il faut de la visibilité, et il faut que ça continue dans le bon sens. Les gens qui se la jouent ‘old school’ ne vont pas survivre les prochaines années !”
Quid du Brexit, surtout dans une industrie comme la sienne ? “Quand j’ai commencé, c’était plus facile d’aller à Paris et de demander ‘quand est-ce que vous ouvrez un bureau à Londres ?’, dans la fintech c’est vraiment ‘the next step’. Maintenant, il y a un peu plus de discussion par rapport à ce qu’il va se passer.” Juliette Souliman pense néanmoins que les opportunités ne manquent pas à Londres, et malgré cette incertitude ambiante, la fintech a encore de beaux jours devant elle.