Lancé en mars 2015 dans sa version française, le site marchand Kazoart a depuis totalisé 5.000 ventes parmi un catalogue de quelque 25.000 références. De quoi faire la fierté de sa créatrice, Mathilde Le Roy, dont l’idée était de démocratiser l’achat d’œuvres d’art en s’adressant pas seulement aux fins connaisseurs mais également aux collectionneurs du dimanche. L’expérience est tellement concluante que la startup voit désormais au-delà de l’Hexagone puisque qu’une version anglophone a été lancée à la mi-octobre 2019 et que de nouvelles déclinaisons européennes sont prévues dans les mois à venir.
Il y a de ça 10 ans, c’est en entrant pour la première fois dans une galerie d’art du Marais que Mathilde Le Roy s’est confrontée à l’élitisme de ce marché. “On me regardait un peu travers et j’étais mal à l’aise car je n’osais pas demander les prix”, confie-t-elle. De là, germe l’idée d’une plateforme mettant en relation des artistes à la côte montante et des amateurs d’art – aussi divers soient-ils – qui ne se seraient jusque-là pas risqués chez les galeristes traditionnels. “En France, l’art se cantonne à un petit groupe de personnes et ceux qui n’en font pas partie ont comme un ‘complexe’ et n’achètent pas”, constate la cheffe d’entreprise.
Les 25.000 œuvres proposées sur Kazoart sont ainsi à portée de clic et livrables sous une semaine. Avec un éventail de prix allant d’une centaine à plus de 40.000 euros, tous les goûts et tous les porte-monnaie trouveront sculpture à leurs pieds. Mais pour ne pas devenir un “supermarché de l’art”, les œuvres mises en lignes sont scrupuleusement sélectionnées par un comité d’une dizaine de personnes regroupant de grands collectionneurs, d’anciens galeristes ou encore des professeurs d’école d’art. L’objectif ? Evaluer l’intérêt artistique, la maîtrise de la technique et l’expérience de l’artiste afin que les acheteurs “soient sûrs de ne pas faire erreur”. Dans les faits, seulement 3% des propositions reçues par les équipes du site sont généralement retenues et viennent alimenter un catalogue éclectique. “Notre but est avant tout de détecter des artistes à fort potentiel”, précise Mathilde Le Roy avant d’ajouter – non sans fierté – avoir atteint la parité parmi le millier d’artistes recensés sur son site.
L’autre argument de la plateforme pour démocratiser l’art est l’accent porté sur le conseil. Ainsi, une équipe de chargés de clientèle aiguillent les internautes et, éventuellement, orchestrent les négociations. “Il s’agit d’une pratique courante dans le milieu de l’art et on a cherché à la rendre également possible sur internet”, détaille la Française.
Alors que le devenir du Brexit est toujours incertain, convoiter le marché britannique à de quoi surprendre. Et pour cause, “même dans le milieu de l’art les interrogations sont nombreuses, notamment sur les évolutions erratiques du cours de la livre ou bien l’augmentation possible des frais de port”, explique Mathilde Le Roy. Toutefois, elle affirme que “le potentiel de ce marché contrebalance largement ces incertitudes”. Il faut dire que le Royaume-Uni “représente 23% des ventes d’art tandis que la France s’établi à 6%”, selon les chiffres de la cheffe d’entreprise qui ambitionne d’atteindre rapidement les 15% de chiffre d’affaires avec son nouveau pied à terre outre-Manche. “C’est d’ailleurs bien parti”, confirme-t-elle.
De plus, le lancement d’une version anglophone coïncide avec la volonté affichée par la cheffe d’entreprise “d’approcher le marché américain” et les perspectives qui vont avec. Mais, outre la volonté de croissance, cette déclinaison est également appelée à se singulariser du site tricolore pour promouvoir les artistes britanniques. “On sait bien que l’art est universel mais on a remarqué que les acheteurs préfèrent souvent les créations locales”, explique la diplômée d’école de commerce.
Née à Paris, Mathilde Le Roy a grandi dans une “famille sensibilisée à l’art” sans pour autant faire partie des grands initiés. Après avoir décroché un baccalauréat scientifique, elle entame une classe préparatoire au concours d’HEC et intègre finalement l’ESSEC dont elle sort diplômée en 1999. Embauchée par TF1 en tant que chargée du développement, elle migre ensuite vers la filiale marketing du groupe audiovisuel. Après quatre années passées dans les bureaux de la première chaîne, la Parisienne devient responsable du mécénat auprès de l’orchestre symphonique de Paris dont elle est débauchée trois ans plus tard pour mettre sur pied une campagne de levée de fonds auprès des cités universitaires de la capitale.
“C’est à ce moment-là que l’idée d’entreprendre commence à germer dans mon esprit”, lâche-t-elle. Dans le courant de l’été 2014, Mathilde Le Roy commence d’ailleurs à étudier le marché de l’art et découvre l’existence de startups à succès de l’autre côté de l’Atlantique. “J’ai eu envie de transposer l’expérience en France”, se rappelle-t-elle. En octobre, elle quitte donc son emploie et se rapproche d’un expert en stratégie digitale qui croit en son projet et le finance en partie. De là, commence la constitution d’un comité d’experts. Un impératif de légitimité qui est apparue comme une évidence pour celle qui ne sort pas d’une école d’art. “C’est important pour l’image que l’on renvoie”, appuie-t-elle avant d’ajouter, “on a commencé avec une cinquantaine d’artistes sur un site qui faisait un peu bricolage”. Désormais, la créatrice de Kazoart a les yeux rivés sur l’Europe puisqu’une déclinaison en allemand devrait arriver d’ici la fin 2020 avant que ne suivent l’Italie et l’Espagne.