« Rien n’est impossible, il faut y croire et faire les choses de manière impressionnante ». Ces mots sont ceux de Debora Kayembe, la nouvelle rectrice de l’Université d’Edimbourg. Originaire de la République Démocratique du Congo, elle est avocate spécialisée dans la lutte pour les droits de l’Homme. Forcée de s’exiler au Royaume-Uni, elle a su évoluer dans un milieu anglophone et y faire sa place, tout en menant à bien ses combats. La Francophone revient pour French Morning London sur le parcours l’ayant conduite à devenir la première rectrice racisée de l’une des plus grandes universités écossaises.
La jeunesse de Debora Kayembe est marquée par l’instabilité qui règne en Afrique centrale, notamment suite au génocide rwandais. En plus des violations à l’encontre de la dignité humaine dont elle est le témoin, la future avocate trouve aberrant « l’accès inégal à l’éducation qui persiste pour les petites filles ».
Toutes ces discriminations qui bousculent la promesse d’un continent en paix la poussent à ainsi s’engager dans la lutte pour les droits de l’Homme. Après avoir intégré le barreau de Matadi en 2000, elle est envoyée en 2003 par le président Joseph Kabila en tant que représentante de la société civile en Afrique du Sud pour discuter de l’avenir du Congo, juste après la fin de la guerre interethnique de l’Ituri – Est du Congo.
Debora Kayembe conduit dans ce cadre une enquête sur le massacre de Bunia – chef-lieu de l’Ituri –, où ont été commises des violations massives des droits l’Homme, et plus particulièrement des droits de la femme. Le rapport qui en suit contient des témoignages accablants sur le gouvernement en place, ce qui met la Congolaise dans une position très délicate. Ce sont ses proches, craignant pour sa vie, « qui [lui] conseillent de demander l’asile politique ». Commence alors son périple britannique.
Contrainte de quitter le Congo, Debora Kayembe se rend en 2005 au Royaume-Uni et plus précisément à Blackburn en Angleterre. Dès son arrivée, le choc culturel se fait ressentir. Au-delà d’un système d’asile très « étrange », elle n’a plus ses repères et se sent peu à sa place.
Selon l’avocate, une expérience de vie francophone « n’est pas la bienvenue dans un monde anglophone ». Elle obtient finalement en 2007 le droit de résidence sur le sol britannique, mais ses difficultés sont loin d’être résolues. Elle raconte que si elle a légalement le droit de vivre et travailler au Royaume-Uni, ses diplômes et son expérience de quelques années déjà en République Démocratique du Congo ne sont pas reconnus par l’Angleterre. Pour s’inscrire au barreau et exercer en tant qu’avocate, il faudrait qu’elle retourne à l’université – en Angleterre donc – et recommence tout à zéro.
La Congolaise tente alors de faire reconnaître ses diplômes mais c’est sans appel, il lui faut impérativement une certification anglaise. Dépitée mais pas abattue, elle confie avoir écrit au barreau d’Édimbourg afin de voir s’il lui est possible d’y être admise. La réponse ne se fait pas attendre. Debora Kayembe peut exercer en tant qu’avocate à condition qu’elle suive une courte formation et qu’elle s’installe dans la capitale écossaise.
La jeune femme quitte ainsi l’Angleterre en décembre 2011 pour s’installer à Edimbourg. Très vite, elle reprend ses fonctions d’avocate et s’engage dans de nombreuses activités en parallèle qui ont rapport avec la lutte pour les droits de l’Homme.
Maîtrisant le français, l’anglais, le lingala, le kikongo et le swahili, elle devient traductrice pour des réfugiés et patients dans les hôpitaux du NHS. De 2013 à 2016, elle est membre du conseil d’administration du Scottish Refugee Council. Elle joint en 2016 le bureau du procureur de la Cour Pénale Internationale ainsi que l’Association du Barreau près la Cour Pénale Internationale.
En 2017, elle fonde l’association caritative Full Options, qui promeut les droits de l’Homme et la paix. Malgré tous ses engagements à Edimbourg, Debora Kayembe n’avait jamais envisagé de devenir rectrice. La courte formation qu’elle avait effectuée à l’Université d’Edimbourg lui avait laissé un goût amer. Son malaise profond, elle sait aujourd’hui l’expliquer : « J’ai compris plus tard que c’était du racisme ». L’idée de devenir rectrice a seulement germé après que des représentants étudiants et du personnel universitaire l’ont contactée pour qu’elle se présente à l’élection.
Elue en 2021, Debora Kayembe a pris ses fonctions début mars 2022. En tant que rectrice, elle est responsable du tribunal de l’université, « son organe le plus puissant ». Un recteur a pour rôle de représenter les intérêts du corps étudiant mais aussi de repenser l’agenda et les programmes universitaires. La Congolaise souhaite pendant son mandat de trois ans réformer l’université pour une meilleure inclusion de tous.
Son élection a été le premier pas dans cette voie : c’est seulement la troisième femme à accéder à ce poste, et la première femme racisée. S’il s’agit d’une avancée considérable, il reste de nombreux tabous à briser. L’université d’Edimbourg est encore fortement liée à son passé colonial. Fidèle à elle-même, la rectrice continue de porter les causes qui lui tiennent à cœur. « Ce que je faisais à l’extérieur je l’ai emmené à l’intérieur, je n’ai pas abandonné qui je suis ».
Elle vise ainsi à ouvrir l’université sur l’international et « à combattre le racisme et à décoloniser le curriculum », ce dernier ne reflétant pas la réalité de ce qui s’est réellement passé au cours de l’Histoire. Pour y parvenir, Debora Kayembe participe à la création et mise à niveau des différents programmes universitaires, et enseigne également. Ses cours, donnés à sa demande mais aussi à celle de ses collègues académiciens, portent sur le racisme, l’inclusion et le respect.
Parce que « rien n’est impossible, il faut y croire et faire les choses de manière impressionnante », la nouvelle rectrice espère pouvoir réaliser les objectifs qu’elle s’est fixés et aider l’université à continuer de progresser. Si elle ne sait pas encore quel chemin prendra sa carrière à la fin de son mandat, son travail restera sans aucun doute en lien avec le milieu universitaire.