“Il ne me reste plus que quelques cartons à faire et ce sera la fin d’une belle aventure, même si je n’aurais jamais pensé qu’elle se terminerait comme ça”. Clarisse* est sur le départ. La Française vivait à Londres depuis 2018, mais le contexte actuel l’a obligé, confesse-te-elle, à rentrer dans sa Normandie natale. “Tout est devenu cher et je ne peux plus vivre dans ces conditions”, commente la jeune femme de 25 ans.
Arrivée il y a quatre ans dans la capitale, pour venir améliorer son anglais, elle a finalement décidé de rester et a enchaîné les petits boulots. “Jusqu’à la pandémie, mon rythme m’allait plutôt bien. J’alternais entre des postes de serveuse, vendeuse ou même d’hôtesse, je n’avais pas trop de souci à trouver un job. Parfois je faisais même des baby sittings pour arrondir les fins de mois. Mais avec la crise sanitaire, les choses ont commencé à être difficiles pour moi”.
Malgré la perte de ses revenus, déjà peu élevés – “je gagnais selon les mois et les jobs, entre £1400 et £1500 par mois”, précise la jeune femme -, Clarisse parvient tout de même à garder la tête au-dessus de l’eau, notamment grâce à l’aide financière ponctuelle de ses parents pendant la pandémie. “Je me suis toujours débrouillée pour avoir un job à chaque fois que les restrictions ont été assouplies”, souligne la Française. Vivant en colocation, elle payait sa chambre, située dans l’est de la capitale anglaise, £700 par mois. “J’ai eu de la chance car j’étais dans le même appartement depuis mon arrivée à Londres et le propriétaire n’avait jamais augmenté le prix”. Mais ça, c’était avant.
Car la crise de l’énergie a changé la donne. “Mon loyer a été augmenté de £100 par mois pour couvrir les nouveaux tarifs”, explique Clarisse, “mais si c’était seulement ça, je ne me serai pas décidée à rentrer en France”. La goutte d’eau ? La cherté de la vie. “Je savais en arrivant à Londres que tout était cher : loyer, transports, courses… Mais en quatre ans, les prix n’ont fait qu’augmenter, et ça ne fait qu’empirer. Je préfère partir maintenant et peut-être revenir dans quelques mois quand les choses se seront calmées”. Détentrice du pre-settled status, elle sait qu’elle peut s’absenter jusqu’à six mois, sans perdre son droit à obtenir plus tard son statut de résidente permanente.
Partir temporairement, c’est aussi l’idée d’Anthony*. Le jeune homme de 30 ans est rentré en région parisienne, en octobre dernier. Travaillant dans le service clients au sein d’une entreprise britannique, il a réussi à négocier avec sa direction pour travailler en France pendant quelques mois. “Quatre mois exactement”, précise Anthony, “j’ai expliqué que vu le contexte économique actuel, les choses devenaient de plus en plus compliquées pour moi financièrement. Mon entreprise a très bien compris et m’a autorisé à télé-travailler non plus de chez moi mais depuis la France”. L’objectif, dit-il, est de revenir fin février. “Je voulais laisser passer la période hivernale et éviter ainsi de payer des factures astronomiques de gaz et d’électricité. J’ai bien conscience que j’ai de la chance”, reconnaît le jeune homme, détenteur pour sa part du settled status et qui donc n’est pas inquiet de pouvoir revenir vivre au Royaume-Uni quand il le souhaite. En attendant de rentrer à Londres, il sous-loue sa chambre.
Ilyes* est lui aussi reparti vivre de l’autre côté de la Manche en juillet dernier, mais de manière définitive. “J’avais un bon poste et je travaillais pour une entreprise qui me proposait de bons avantages”, commente le Français de 33 ans, “mais le coût de la vie était devenu insupportable”. Il prend pour exemple son loyer qui a été augmenté de £250 par mois. “J’arrivais au renouvellement de mon contrat et mes propriétaires m’ont expliqué qu’ils n’avaient pas d’autre choix que d’augmenter le prix”. Les prix à la location se sont en effet quelque pu emballer ces derniers mois. “Le marché de la location est exorbitant, les loyers ont augmenté en flèche en un an. Nous avons observé une hausse de 10 % entre le mois d’avril et la fin de l’été”, expliquait en septembre dernier, à French Morning London, Debby Brow, une spécialiste du marché immobilier londonien pour l’agence Keatons à Hackney.
“J’avais pour projet d’acheter un appartement, mais à force de voir tout augmenter, j’arrivais de moins en moins à épargner. Rentrer en France me paraissait la meilleure solution”, confie Ilyes. Ses parents l’ont également encouragé à revenir. Quatre mois après son retour à la maison, il ne regrette en rien sa décision. “En France, on a de la chance. Certes, le pays connaît lui aussi des difficultés, mais le gouvernement est tout de même plus présent pour aider et soutenir les gens”, commente le jeune homme. C’est d’ailleurs cela qui pousse Déborah* à réfléchir sérieusement à quitter la capitale anglaise. “Je préfère vivre modestement en France, où il y a de vraies aides de l’Etat, qu’ici où c’est un peu ‘marche ou crève’”, lance la jeune femme de 27 ans, qui vit à Londres depuis trois ans.
Comme Clarisse, la jeune femme a un revenu assez faible et la hausse du coût de la vie devient suffocante pour cette jeune vendeuse dans une grande enseigne de mode. “Autant avant la pandémie, j’avais de quoi mettre £50 de côté tous les mois pour faire face à d’éventuels coups durs. Mais maintenant c’est devenu impossible. J’ai besoin de ces £50 pour mes courses, car les prix ont tellement augmenté”. Selon le quotidien britannique The Guardian, les prix ont en effet augmenté de près de 15% en un an. “Il s’agit du niveau le plus élevé depuis que l’organisme Kantar, qui produit les données, a commencé à suivre les variations de prix en 2008”, écrivait début novembre le journal.
Aller faire ses courses dans un magasin discount ne suffit plus, selon Déborah, qui estime pourtant n’être pas une grande dépensière dans sa vie quotidienne. “Je sors très peu au restaurant avec mes amis, je vais de temps en temps faire une soirée, mais je n’ai jamais vécu au-dessus de mes moyens. Mais même en continuant à faire très attention, ça devient la galère. Et je n’ai pas envie de me demander chaque début de mois si je vais arriver à le boucler ou si je vais devoir finir par faire la queue à la banque alimentaire”. La France, pense-t-elle, sait mieux répondre à ce genre de situation de crise. “Là-bas, on a des aides au logement, l’Etat a voté pour empêcher une trop grande hausse des prix de l’énergie. On se sent quand même un peu plus protégé”. Malgré tout, Déborah n’a pas encore pris une décision ferme sur un éventuel retour outre-Manche. “Je vais d’abord passer les fêtes de Noël en famille et discuter avec mes parents. Je pense que j’y verrai plus clair en début d’année prochaine”.
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interviewées.
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