Depuis le 14 mars dernier, Leila Ben-Hassel n’est plus une Française de Londres comme les autres. En effet, celle qui occupe déjà un poste de chargée de projet pour les espaces publics de la Corporation de la Cité de Londres est devenue conseillère municipale de la commune de Croydon, dans le sud de la capitale. Fait rarissime pour une citoyenne française et européenne, ce poste lui permet d’approfondir son engagement politique en faveur de la diversité et de l’Europe. C’est un combat qui lui tient à cœur, qui plus est dans un contexte de tensions autour de sujets comme le Brexit et l’immigration qui l’ont personnellement marqués durant ces dernières années.
Leila Ben-Hassel, 39 ans, est née à Paris d’une mère d’origine britannique et d’un père d’origine algérienne. Ayant toujours vécu en Bretagne, elle y fait d’abord des études d’anglais avant de rejoindre l’Institut de Gestion de Rennes dont elle sort diplômée. Après avoir trouvé un emploi dans un projet européen qui lui faisait faire des allers-retours entre le Kent et le nord de la France, elle décide de venir s’installer de l’autre côté de la Manche en 2004. “A l’origine, je suis venue au Royaume-Uni en pensant rester deux ans”, déclare la Française. Trois ans plus tard, elle déménage à Londres afin de travailler dans l’habitat social et aider à la santé, à l’emploi et au bien-être des plus défavorisés. Résultat : 15 ans après son arrivée, Leila Ben-Hassel y vit toujours et n’est pas près de s’en aller.
Cette volonté d’aider la communauté qui vit autour d’elle, quitte à parfois sacrifier son temps libre, n’est pas arrivée par hasard chez la Londonienne d’adoption. Déjà quand elle était étudiante, elle s’était impliquée dans les syndicats et les mouvements étudiants qui marquèrent la fin des années 1990 en France. Néanmoins, à l’époque, un engagement politique n’était pas à l’ordre du jour : “J’ai toujours été un peu socialiste, venant d’une ville et d’une région qui sont traditionnellement à gauche. J’étais engagée dans des syndicats étudiants, mais le PS et la ‘gauche-caviar’ m’ont toujours repoussés”. Lorsqu’elle s’installe au Royaume-Uni, elle poursuit son action en s’impliquant de manière relativement faible dans le parti travailliste britannique (Labour), à travers des syndicats qui lui sont affiliés.
C’est en 2010 que l’implication de Leila Ben-Hassel dans la vie politique du pays va s’accroitre. Avec l’élection du conservateur David Cameron comme Premier Ministre, une politique d’austérité et de coupes budgétaires s’emparent du Royaume-Uni. “Comme je travaillais dans le social, je voyais bien que les services publics comme les hôpitaux étaient directement impactés, et ça m’a mise en colère”, se souvient la Française. Cette réflexion associée à un chômage de quelques mois en 2011 la conduisent à intensifier son engagement au sein du Labour. A partir de 2015, elle est nommée vice-présidente de la branche locale du parti à Croydon North, zone dans laquelle elle vit. Au même moment, la question du Brexit devient plus que sérieuse au Royaume-Uni, et elle s’engage corps et âmes en faveur du “Remain” en vue du référendum de 2016.
Au début de l’année 2019, alors que cela n’était pas prévu ou même désiré, l’ascension politique de Leila Ben-Hassel se poursuit au niveau du conseil municipal de Croydon. “Je ne comptais pas me présenter aux prochaines élections car j’avais d’autres priorités comme le Brexit. Mais malheureusement, une personne qui siégeait est décédée de manière imprévue”, confie-t-elle. Alors, la militante accepte de se lancer dans une courte campagne électorale au nom du Labour malgré son inexpérience en politique. “J’ai surtout fait du porte-à-porte plusieurs fois par semaine pendant deux mois, pour rencontrer les gens et leur expliquer notre projet. Même si je n’avais pas d’expérience, ça s’est bien passé car c’est plus facile d’avoir la ‘machine du parti’ derrière soi, avec le soutien d’experts en élections notamment”, narre Leila Ben-Hassel. Au bout du compte, elle est élue avec 1.379 suffrages en sa faveur, ce qui est conséquent pour une zone peu habituée à aller voter, avec une large avance sur le parti Conservateur et le UKIP.
En tant que conseillère municipale fraîchement élue, Leila Ben-Hassel est une élue non-affectée à un comité municipal traitant d’un thème en particulier. Cela lui permet pour l’instant de mener son action dans la zone nord de Croydon comme elle le souhaite, et donc de se concentrer sur les thèmes qui lui tiennent à cœur. “Au niveau de ma circonscription, je combats plusieurs problèmes locaux. D’abord, j’essaie d’y attirer des investissements pour qu’elle se développe. Aussi, Croydon est très touché par la délinquance et les agressions au couteau. Depuis un an, la situation a tendance à s’améliorer mais ça reste un grand challenge pour moi au vu des coupes budgétaires du gouvernement dans les foyers locaux”, lance la Française.
Si ces deux thèmes préoccupent particulièrement la conseillère municipale, elle se penche également sur la lutte contre la pauvreté des femmes “qui doivent choisir entre ramener de la nourriture pour leurs enfants ou acheter des serviettes hygiéniques” ou encore la lutte contre la violence domestique “qui a augmenté de 60% ces dernières années”. Pourtant, quand on demande à Leila Ben-Hassel, qui cumule donc cette activité et son emploi principal, si elle envisage de se consacrer à sa carrière politique, la réponse est claire : “Non, je n’ai pas envie de devenir une politicienne. D’un côté, j’aime aider les gens mais financièrement, ce serait dangereux de laisser tomber mon travail. J’aimerais le faire à condition que je puisse continuer à travailler deux jours par semaine, pour ne pas devenir une professionnelle de la politique et donc ne pas m’éloigner de la réalité du quotidien”.
Si Leila Ben-Hassel avait un message à faire passer à travers son action, on pourrait le résumer en deux mots : inclusion et diversité. Ce sont justement ces deux principes qu’elle a trouvé au Royaume-Uni, et non en France, lorsqu’elle arrivée dans les années 2000, et qui l’ont poussée à y rester. Néanmoins, ces dernières années, ce sont justement ces deux principes qu’elle voit le plus s’effacer dans la société britannique. Pour elle, le responsable de cette évolution négative est tout trouvé : le Brexit. “La campagne du référendum de 2016 a instauré un climat nocif dans le pays. Ça a réveillé des sentiments racistes chez les gens qui se sont opposés à toute forme d’immigration”, déplore l’élue.
Leila Ben-Hassel est très bien placée pour parler du climat néfaste qu’a instauré le vote sur la sortie de l’Union européenne puisqu’elle en a été elle-même victime. “Cela a pris des proportions énormes. Pour la première fois en dix ans, on m’a dit ‘rentre chez toi’ ou ‘fais tes valises’ lorsque je parlais français dans la rue, dans le métro ou même au travail”, regrette-t-elle. Ainsi, la Londonienne d’adoption se dit anxieuse à l’idée qu’un nouveau vote sur la question soit soumis au peuple car cela pourrait raviver cette europhobie latente.
Son engagement politique à Croydon et au sein du Labour lui permet de faire porter son message de diversité et de défense des citoyens européens du Royaume-Uni, qui subissent les mêmes stigmatisations qu’elle. “On est perdus pour l’instant. On ne sait pas ce qui va advenir des droits des ressortissants de l’UE, s’ils pourront continuer à voter et à être éligibles ici, de nos retraites au cas où nous aurions envie de revenir en France… Il y a trop de choses qui sont encore en suspens”. Ce qui est sûr, c’est qu’en attendant d’avoir des réponses claires, Leila Ben-Hassel va continuer à “se bouger pour les choses changent”.