L’ancien ministre et philosophe Luc Ferry, à l’invitation de Christine Afflelou et de son club B&C, était jeudi 2 mai à l’Institut français pour présenter son dernier ouvrage Sagesse et folie du monde qui vient, co-écrit avec l’économiste Nicolas Bouzou. Dans ce livre, il aborde ce qu’il appelle “la troisième révolution industrielle” et en explique ses conséquences.
“Cette révolution consiste en la convergence du digital, de la robotique et surtout de l’intelligence artificielle, qui en est le cœur”, résume-t-il. Cette combinaison va engendrer, selon lui, un changement radical dans les 50 prochaines années avec des retombées majeures dont certaines sont déjà visibles. La première n’est autre que la naissance de l’économie collaborative (Uber et Airbnb par exemple) qui repose sur “le traitement du ‘big data’ par l’intelligence artificielle depuis un capteur qui est sur les smartphones et qui permet à des non professionnels de concurrencer des professionnels” ; la seconde concerne la révolution de la mobilité avec notamment la voiture autonome, d’ailleurs “Uber prévoit par exemple dès 2020 de mettre en service des taxis sans chauffeur”, ce qui aura selon le Français un impact considérable sur le monde du travail avec la suppression de 3 millions d’emplois aux Etats-Unis ; et la troisième touchera directement l’être humain avec la révolution des biotechnologies en créant un “être augmenté” tout en luttant contre la vieillesse et la mort.
Ces changements seraient bénéfiques pour les peuples, avance-t-il. La seule inquiétude reste de savoir “comment rendre nos enfants complémentaires de ce nouveau monde fait d’intelligence artificielle”, puisque pour Luc Ferry l’impact de l’intelligence artificielle sur le monde du travail sera considérable. “Presque tous les métiers seront touchés, mais cela ne veut pas dire qu’ils disparaitront tous. Par exemple, ceux qui associeront les mains, le cœur et la tech résisteront car ils ne pourront pas être remplacés par la machine”. Cuisinier, jardinier ou encore infirmière ne devraient pas être concernés tout de suite par exemple. A contrario, “les notaires ou les commissaires aux comptes seront des métiers très violemment touchés tout comme les chauffeurs de taxi”. Alors quelle est la solution ? “Former nos enfants aux métiers qui ne seront justement pas impactés par l’intelligence artificielle, sauf si ce sont des mathématiciens ou généticiens hors pair et dans ce cas, ils trouveront une place dans la cité”.
La France est-elle prête selon lui à faire face à ces grands changements, qui ont déjà commencé ? Non, répond Luc Ferry. “Les Etats-Unis et la Chine le sont en revanche”, complète-t-il, “le vrai grand problème, ce n’est pas la France mais toute l’Europe, qui n’est pas prête. Elle est même devenue le sous-traitant des Américains et des Chinois, qui achètent les cerveaux français et plus largement européens”. Si l’Europe ne parvient pas à garder ces brillants talents, c’est selon Luc Ferry une simple question de salaire. “J’ai été chercheur au CNRS pendant des années et je gagnais 2.800 euros par mois”, argumente le philosophe. Pas de quoi donc retenir ces “cerveaux” qui préfèrent aller travailler aux Etats-Unis ou pour des grandes entreprises américaines installées en Europe qui leur offrent un pont d’or et des conditions de travail rêvées.
Si l’Europe veut rattraper son retard et ainsi éviter de se retrouver dans 10 ans dans “une très grande détresse”, il faudrait, explique Luc Ferry, qu’une union – et notamment fiscale et sociale – à 10 ou 12 pays se fasse afin de mettre l’argent nécessaire dans la recherche sur l’intelligence artificielle. “Ce ne sera pas possible d’y arriver chacun de son côté. Quand le président de la République française annonce 1.5 milliard d’euros d’investissement dans l’intelligence artificielle, pour moi, c’est tout d’abord une fake news parce que c’était déjà budgété par François Hollande et puis, cela ne représente rien. Il faudrait au moins 150 milliards et pour cela il faut unir les forces”. En a-t-il parlé à Emmanuel Macron ? “Non, car nous ne sommes pas en bons termes”, lâche le Français, renvoyant simplement le président à la lecture de son livre.
Et comment convaincre alors les peuples qu’une telle somme d’argent soit investie alors même qu’en France, on le sait, la contestation sociale est forte ? Le message passerait-il ? “Il faut savoir leur expliquer les choses”, rétorque Luc Ferry, “leur parler de ce que ces outils pourront apporter dans leur vie, pour leur santé, pour l’avenir de leurs enfants. Il faudrait aussi leur demander s’ils ont envie que la civilisation européenne devienne la colonie des Etats-Unis”. En somme, toucher la corde sensible pour mieux faire adhérer la population aux enjeux du futur.