Contrairement à ce que l’on pourrait peut-être croire, vivre dans un pays n’est pas toujours la garantie d’en maîtriser complètement la langue. Cela dépend en effet de sa situation sur place, son travail, son contexte familial, amical… Français ou autres francophones établis depuis parfois un moment au Royaume-Uni, ils continuent d’avoir quelques démêlés – petits ou grands – avec la langue de Shakespeare.
Le travail étant l’un des éléments les plus importants pour ce qui est de l’imprégnation linguistique, ceux et celles qui n’ont pas tant l’occasion de parler anglais dans le cadre de leur emploi (et qui n’ont bien sûr pas de conjointe ou conjoint anglophone) expérimentent bien sûr un certain nombre de difficultés. A l’instar de Lilwenn (*), qui travaille dans une école française et qui indique donc, malgré ses neuf ans passés au Royaume-Uni, avoir toujours du mal avec l’anglais, estimant son niveau de compréhension à « 6 ou 7 » (sur 10). Quant à sa capacité à s’exprimer, la jeune femme indique que « cela dépend des situations »…
Un état de fait que partage Isabelle, artisan tapissier d’ameublement, qui dispose essentiellement d’une clientèle française et indique toujours « mal parler » et « mal comprendre » l’anglais, en dépit de sept années déjà passées en Angleterre. Elle pense avoir un niveau B1… France est, elle, dans une situation différente, disposant d’un bon anglais – acquis notamment par le biais de l’emploi – mais souffrant d’être en télétravail car se trouvant, de fait, moins en contact avec ses collègues anglophones. « J’ai la sensation que si je travaillais depuis la France pour l’Angleterre, ce serait équivalent. »
Dans le cas de Kheira, c’est à la fois le fait de ne pas travailler en anglais – la Française est mère au foyer – et celui de ne pas vraiment pouvoir rencontrer du monde, globalement – elle vit seule avec ses enfants – qui l’empêchent de progresser linguistiquement. « Je n’ai pas de vie sociale, à part le sport, le matin et les activités des enfants. »
Naturellement, les relations sociales hors travail sont aussi importantes pour développer la langue. Mais pour certains, ce n’est pas évident. Du fait de son manque de confiance en ses capacités linguistiques, Lilwenn a du mal à se lancer dans des activités (clubs, ateliers) dans des milieux complètement anglophones. De son côté, Juliette reconnaît céder à la « facilité », en se liant plus facilement d’amitié avec des francophones. « Dans une ville cosmopolite comme Londres, la tentation est grande… et avec des gens qui parlent français, il y a moins de barrières, linguistiques, évidemment, et culturelles. »
Un contact avec le français qui n’aide bien sûr pas à progresser en anglais. Les langues étant en « compétition » les unes avec les autres. « Vous avez déjà dû vous retrouver dans la situation où vous souhaitez parler anglais mais c’est un mot français qui vient à la place… », détaille Danijela Trenkic, professeure, spécialiste de psycholinguistique à l’Université de York. « Le niveau d’activation d’une langue dépend notamment de sa maîtrise (plus on est compétent dans la langue, plus celle-ci est active) et de son utilisation (plus l’usage est récent, … etc), ajoute Angela de Bruin, maître de conférences qui s’intéresse aussi au bilinguisme. Donc si le français est souvent utilisé, il y a des chances pour qu’il soit assez ‘actif’ et davantage en compétition avec l’anglais. »
Naturellement, la seule solution pour ceux qui souhaitent améliorer leur anglais demeure la pratique. « L’apprentissage d’une langue implique de renforcer les connections entre ce que nous voulons dire et de nouveaux mots, sons, constructions grammaticales… pour que celles-ci résistent à la compétition avec la langue maternelle, explique Danijela Trenkic. S’il n’est pas possible de ‘mettre en pause’ une langue, c’est en renforçant les nouvelles connexions (avec une autre langue) que nous parvenons peu à peu à ‘inhiber’ la langue première. »
La chose, bien sûr, demande de l’implication. « C’est malgré tout un effort d’apprendre une langue », soupire Isabelle, qui a appris l’espagnol et le portugais en expatriation (elle prenait des cours en plus de son travail) mais pense désormais « s’essouffler »… De son côté, Danijela Trenkic préconise de trouver des activités que l’on apprécie de faire dans la langue que l’on apprend (lire, regarder des films, activités en groupe…), de façon à s’y adonner régulièrement. Angela de Bruin conseille de pratiquer la langue « dans différents contextes et avec différentes personnes ». Et recommande l’utilisation de plateformes d’échanges linguistiques (Conversation Exchange, par exemple, ndlr).
Un conseil, également, peut-être, à donner serait le fait d’être patient. Et de ne pas être trop dur avec soi-même… Car acquérir une langue prend du temps, tant la variété de contextes, de situations, est importante. Infirmier suisse travaillant depuis des années au NHS, Julien se dit ainsi à l’aise, en anglais, sur le vocabulaire médical et le « vocabulaire social de base » mais un peu moins dans « pleins d’autres domaines : politique, lois, informatique… ». Rémy, qui estime avoir un « très bon niveau », continue d’avoir du mal dans les environnements bruyants. « Au-delà de deux heures, je débranche…» Sans oublier, bien sûr, les accents : Anaïs est maintenant habituée à l’accent de Glasgow mais a toujours des difficultés avec les intonations d’Inverness et de l’est de l’Écosse.
Enfin, l’idée serait éventuellement aussi de se rappeler que la notion de « bilinguisme » – que d’aucuns craignent parfois de ne jamais atteindre – est moins exigeante que l’on ne le pense souvent. Car elle décrit simplement la capacité à « utiliser deux langues de manière fonctionnelle ». La notion de fonctionnalité pouvant, certes, s’appliquer à la validation d’un diplôme à l’université… mais aussi à la simple commande d’un plat au restaurant. Techniquement, « si vous pouvez utiliser une autre langue pour ce dont vous avez besoin, vous êtes bilingue », indique Danijela Trenkic. De quoi faire, peut-être, disparaître quelques complexes.
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(*) Le nom de la personne n’a pas été précisé.