A quelques semaines de la sortie définitive du Royaume-Uni de l’Union européenne, les entrepreneurs français installés sur le sol britannique ou ayant des affaires avec le pays sont inquiets. C’est en tous cas ce qu’a révélé le dernier sondage réalisé par le Cercle d’outre-Manche (COM) en mars dernier. La récente actualité, incluant la nomination de Boris Johnson comme nouveau Premier ministre, n’a fait qu’amplifier cette préoccupation, selon Philippe Chalon, directeur du COM.
“Le Brexit n’est pas une crise cardiaque ou un AVC, mais plutôt un cancer, long et diffus dont les conséquences ne seront pas immédiates”, explique le Français, qui voit déjà certains indicateurs économiques à l’orange. Pour preuve, avant le référendum de juin 2016, “le Royaume-Uni était le pays le plus dynamique en Europe”, mais depuis le choix du peuple britannique de quitter l’Union, les investissements ont fortement baissé. Ce n’est pas tant l’idée de la sortie qui est préoccupante, puisqu’actée, mais l’incertitude qui règne depuis plus de trois ans dans le pays. Lors du sondage réalisé par le Cercle d’outre-Manche en mars 2019, “42% des membres n’ont en effet pas réalisé les investissements qu’ils auraient dû faire”.
Les préoccupations ne cessent de croître, selon Philippe Chalon, et ce “au fil des mois, car il n’y a pas vraiment de parcours balisé pour les entreprises, toutes les options restent sur la table et pourtant le temps passe”. Le directeur du Cercle d’outre-Manche, créé en 2004 par Arnaud Vaissié (patron d’International SOS) et Pascal Boris (ancien PDG de BNP Paribas UK), rappelle que “30.000 entreprises françaises exportent au Royaume-Uni et 3.400 y sont implantées. Le cabinet Euler-Hermes a même évalué à 3 milliards d’euros la perte des valeurs pour les entreprises en cas de no-deal”.
Si “le Brexit a déjà eu des conséquences réelles sur les entreprises”, le plus inquiétant n’est pas pour les plus grandes qui “ont les moyens d’avoir des équipes juridiques pour prévoir un plan B”, mais pour les PME qui n’ont pas ce genre de ressources. Selon Philippe Chalon, “tout est devenu plus complexe, avec un manque réel de ressources et elles ne sont pas armées de ‘task forces’ pour parer à cette sortie”. L’attente est donc longue et s’il n’y a pas d’accord (lors de l’étude du COM, “plus d’un tiers des patrons pensaient que le no-deal arriverait, si on refaisait le sondage aujourd’hui ils seraient plus de 50%”, assure le directeur du Cercle), comme le veut ou du moins le laisse à penser Boris Johnson, “les frais de ce Brexit ne seront connus que le jour J”. Les préoccupations principales de chefs d’entreprise concernent en priorité l’accès à la main d’œuvre qualifiée ou non, la nouvelle réglementation (notamment sur les tarifs et contrôles douaniers), mais aussi la variation de la Livre sterling et l’impact de cette sortie sur l’image du Royaume-Uni.
Le COM a pu constater cette évolution, puisque si sa vocation première lors de sa création en 2004 était de comparer l’attractivité entre la France et le Royaume-Uni pour comprendre les bonnes pratiques de ce dernier et les adapter sur le sol français, sa mission est devenue tout autre depuis 2016. “On est devenu un observatoire du Brexit”, confie Philippe Chalon. Le but est de prendre le pouls de la cinquantaine de patrons membres (incluant de très grandes entreprises comme des TPE/PME) et ainsi faire remonter l’information aux pouvoirs publics français. “On ne fait pas de politique”, prévient le directeur, donc pas question de commenter les positions du Premier ministre actuel.
Cependant, il souligne que l’Etat français a bien joué son rôle dans le soutien aux entrepreneurs. “Pour danser il faut être deux, la France n’a pu faire que 50% du travail puisqu’en face on ne sait toujours pas ce qui va se passer. Il est donc compliqué de créer des législations tant qu’on ne connaît pas l’issue”. Il rappelle qu’un portail internet dédié aux questions des entrepreneurs a été mis en ligne par le gouvernement français afin de guider les patrons. Le directeur du COM se veut aussi rassurant. “Même en cas de no-deal, le Royaume-Uni restera une grande économie avec de nombreuses ressources. Il n’y aura certainement pas un déclin vertigineux, mais il est vrai que le pays perdra une position importante sur la place économique mondiale”.
Le Cercle réfléchit par ailleurs à relancer un nouveau sondage auprès des entrepreneurs français, non pas avant la date fatidique du 31 octobre, mais plutôt après, surtout en cas de sortie sans accord, “pour voir concrètement ce que pensent les patrons”.