De Boris Johnson, d’aucuns croient tout savoir. Souvent qualifié de clown pour ses airs débraillés à la télévision, mais aussi parce qu’il a cultivé cette image de politique décalé, le Premier ministre britannique n’est peut-être pas celui que l’on pense. C’est ce qu’a essayé de savoir Tristan de Bourbon-Parme.
Ce journaliste indépendant, vivant à Londres depuis plus de dix ans, a mené l’enquête, résumée dans son dernier livre : Boris Johnson, un Européen contrarié, paru fin janvier aux éditions François Bourin. Tel Hercule Poirot, le Français est allé à la rencontre des proches et de la famille de celui que l’on surnomme BoJo. Avec cette envie de démêler le vrai du faux sur ce personnage haut en couleurs, qui a réussi à mener la mission pour laquelle il avait été nommé : le Brexit.
“L’idée du livre est née à la suite de discussions avec des amis français de Londres qui avaient une certaine vision du Brexit et de Boris Johnson”, explique Tristan de Bourbon-Parme. Nombreux sont ceux qui identifie Boris Johnson au Brexit, et inversement. C’est pourquoi le journaliste a fait le choix de raconter en parallèle de l’histoire de l’actuel Premier ministre britannique, celle d’un pays aux relations éternellement compliquées avec l’Union européenne.
“Le Brexit a toujours été dans l’air au Royaume-Uni. Les Britanniques ont toujours eu ce rapport bancal avec l’UE. Et ce doute a été porté par Boris Johnson à son arrivée à Bruxelles (en tant que journaliste pour The Telegraph, ndlr)”. Si les sceptiques étaient minoritaires dans les années 90, au début des années 2000, ce doute s’est gangréné dans la société britannique, selon le Français. “Ce n’est pas Boris Johnson, même s’il a fait pencher la balance et sauté le pas, qui a créé le Brexit, c’est le résultat d’un doute que ses prédécesseurs n’ont pas essayé d’endiguer”.
Si Tristan de Bourbon peut se permettre d’être aussi affirmatif, c’est qu’il a mené l’enquête pendant près d’un an auprès de responsables politiques qui étaient au cœur des négociations de l’entrée du pays dans l’Union européenne. Comme des collaborateurs de l’ancienne Première ministre britannique, Margaret Thatcher, une des idoles de Boris Johnson. “Déjà à l’époque, il y avait des problèmes”, confie le journaliste.
Les deux parties ne sont jamais vraiment entendues sur des points cruciaux, et cela remonte même au temps de Winston Churchill. “Il existe beaucoup de préjugés sur la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Celle-ci, forte en communication, a toujours réussi à façonner une image du Royaume-Uni qui ennuie tout le monde, qui empêche l’Europe de fonctionner correctement. En tant qu’Européen, j’ai toujours eu, moi-même, cette image négative véhiculée par l’UE. Mais en parlant avec mes interlocuteurs, je suis tombé des nues”.
Sans dévoiler le contenu du livre, on découvre en effet au fil des pages une Union pas si angélique. “Certains m’ont confié que l’UE était l’un des plus durs négociateurs au monde, qui n’a jamais montré de pitié et réussi à faire passer le Royaume-Uni pour le mauvais élève”.
C’est en cela que Tristan de Bourbon a aimé écrire ce livre. Déconstruire des idées reçues non seulement sur la relation entre les deux puissances politiques et économiques mais aussi sur Boris Johnson. Là aussi, son enquête l’a mené à interroger ses proches, comme sa sœur Rachel, ou ses camarades de classe à Eton et Oxford.
C’est d’ailleurs dans ces grandes écoles qu’Alexander, de son vrai prénom, s’est forgé davantage cette image de clown. “Cette façade, il se l’est même construite très jeune. Boris Johnson était malentendant jusqu’à ses 8-9 ans. Il n’a pas eu des débuts simples dans la vie et s’est rapidement réfugié dans les études et les livres”.
Un personnage donc beaucoup plus complexe qu’on ne veut le croire. “Il est très méconnu en France. Tout le monde pense que c’est un clown. Mais connaissant un peu la politique britannique, après dix ans à Londres, je ne peux pas imaginer qu’il ait pu devenir le candidat conservateur à ce poste s’il n’était qu’un simple clown”. Boris Johnson est un homme intelligent (il a obtenu une bourse d’Oxford, destinée aux meilleurs élèves), capable de montrer une facette publique de personnage débraillé et décoiffé pour se montrer plus proche du peuple, même s’il sait que cela lui coûte cher en crédibilité auprès du landerneau politique.
“Il faut aussi savoir qu’il est est l’un des conservateurs les plus modérés, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Certes pas sur la question du Brexit, mais sur sa politique générale”. Tristan de Bourbon reconnaît aussi que l’homme a su tenir tête à Donald Trump, là où l’Union européenne a pu se montrer moins exigeante.
Pour preuve, BoJo a mis en place une taxe sur les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) dès avril 2020, alors que l’UE a mis plus de temps à se décider. “Pareil concernant Huawei (le géant chinois de la téléphonie accusé de vouloir espionner les pays via le déploiement de la 5G, ndlr). Le Royaume-Uni a pris la décision de bannir l’entreprise”, alors que l’UE était plus mitigée. Cela montre que le politique sait prendre des décisions, même quand elles sont radicales et tranchées. Ce qui fait dire au journaliste français que Boris Johnson est loin d’être le bouffon souvent présenté ici ou là.
Seul regret dans l’écriture de ce livre, ne pas avoir pu interviewer d’anciens Premiers ministres. Il a failli obtenir un entretien avec le travailliste Gordon Brown. “Il voulait un face-à-face mais avec la Covid cela était compliqué”, explique Tristan de Bourbon. Tony Blair et Sir John Major, eux, n’ont pas répondu aux sollicitations du journaliste. “Ils n’ont cessé de parler dans les médias pendant les quatre dernières années pour critiquer le Brexit, mais ils ont refusé de me rencontrer pour ce livre. Je pense qu’ils savaient qu’ils avaient une part de responsabilité dans ce Brexit, parce qu’ils n’ont pas réussi à faire aimer l’Europe aux Britanniques”.
Qu’importe, le livre est un ouvrage plus que pédagogique, livré sous la forme d’un récit, et donc accessible à tous. “Je voulais qu’il soit informatif”, assure le Français, “mon rôle a toujours été d’essayer de décrypter ce qui passe et d’en apprendre des choses”. Ce qu’il a appris en écrivant ces 320 pages, il l’a résumé dans son titre : Boris Johnson est bien un Européen contrarié, comme le sont tant de Britanniques. Enfant, il a grandi en Europe et aimé l’Europe, puis une fois adulte, il l’a critiquée, à la fois pour servir ses ambitions personnelles et professionnelles. Mais cette Europe, croit savoir Tristan de Bourbon-Parme, l’actuel Premier ministre l’aime encore, malgré les apparences. “Il se sent européen, il veut rester proche de l’Europe mais les gens ne veulent pas le croire, lui donner le bénéfice du doute”. Peut-être que certains changeront d’avis après la lecture de ce livre.