C’était pour “improve (leur) English”, pour des études ou encore par opportunité professionnelle. Leur histoire ressemble à celle des milliers de Français qui ont un jour traversé la Manche pour venir vivre en Angleterre. Ce qui devait être une expérience de courte durée est devenue celle de toute une vie. Cinq, dix ou vingt ans plus tard, ils sont désormais résidents britanniques, ont pour certains fondé une famille et n’ont pas l’intention de quitter le pays.
Christian Michel est arrivé à Londres en janvier 2016, dans le cadre d’une année sabbatique avec cette envie de changer de voie professionnelle. Lui qui est passionné de patrimoine, la capitale anglaise lui semblait être la meilleure destination, de part son histoire architecturale. Le fonctionnaire territorial s’était alors donné six mois, le temps d’améliorer son anglais, mais aussi d’avoir un aperçu de la vie en générale dans la capitale. “Je ne sais pas à quel moment précis, mais j’ai été pris par la ville et la vie”, commente le Français qui s’y sent bien très vite. “Tout est différent ici, j’ai eu l’impression qu’on donne sa chance à tout le monde et que personne ne regarde vraiment vos diplômes”.
Six mois ne lui suffiront pas pour tout apprécier de la ville et de la vie. Il décide donc de rester y vivre encore quelques semaines. Rapidement, il s’inscrit à un atelier pour apprendre à faire un CV en anglais et pratiquer un anglais plus professionnel. Il cherche du travail, mais “cela ne prenait pas”. Lui vient alors l’idée de créer sa propre entreprise de visites guidées. Se lancer dans une nouvelle carrière dans un pays étranger ne lui fait pas peur. “La proximité avec la France est une sorte d’assurance, on se dit qu’être à Londres, ce n’est pas quelque chose de fou, on n’est pas loin, on peut rentrer facilement”. Il déménage en plusieurs fois, le changement n’est donc pas trop brutal, pour lui comme pour sa famille. “Londres, ce n’est ni le Canada ni les Etats-Unis. On est parfois bien plus proche que si on habitait dans d’autres villes en France”.
Jess Baudet aussi voulait améliorer son anglais quand elle s’est installée à Oxford il y a dix ans. Travaillant dans le tourisme en France, elle se dit qu’il serait bon de mieux maîtriser la langue. “Mon père m’a alors parlé d’une association pour les jeunes à travers le monde et j’ai pris contact avec elle”. On lui propose ainsi un stage dans le cadre du programme Leonardo. “Je pouvais choisir le pays que je voulais, j’ai postulé en Irlande, aux Etats-Unis ainsi qu’au Royaume-Uni”.
C’est le destin qui l’enverra donc en Angleterre, puisque l’office de tourisme d’Oxford est le premier à lui répondre. Elle fait ses bagages et débarque dans la ville universitaire, dont elle tombe sous le charme. “Son architecture, son histoire, son université, les gens… Je me suis sentie bien dès mon arrivée”, explique Jess Baudet. Au bout des trois mois de stage, qui devait en durer quatre, elle est déjà triste, pensant à la fin de cette expérience. “Je me disais que c’était impossible pour moi de rentrer en France”. Le destin va frapper encore à sa porte. “Un poste s’est libéré à l’office de tourisme et j’ai passé l’entretien”. Et elle est retenue. Même si sa famille et le bord de mer breton lui manquent, la jeune femme, qui se forme aussi pour devenir guide touristique, se lance dans sa nouvelle vie.
Puis le Brexit arrive et Jess Baudet se demande si elle ne devrait pas rentrer en France. “On ne savait pas ce qui allait nous tomber dessus. Puis je me suis dit que je ne voulais pas qu’une décision politique décide de ma vie”. Comme les autres ressortissants européens, elle fait sa demande de résidence permanente. Mais un autre événement va la faire s’interroger : la pandémie. “L’office de tourisme a dû fermer ses portes définitivement, donc j’ai été mise en chômage partiel de mai à juillet 2020”. La Française tourne en rond et se demande à nouveau s’il n’est pas temps de rentrer en France.
Mais un nouveau coup du sort va en décider autrement. “En mars, juste avant les confinements, j’avais postulé pour un poste de ‘visitor host” aux Bodleian Libraries de l’université, j’avais été prise, mais la crise sanitaire est arrivée”. Puis à la levée du premier confinement, alors qu’elle est licenciée de l’office de tourisme, la bibliothèque universitaire la rappelle pour qu’elle puisse signer son contrat. “Je n’en reviens toujours pas”, confie-t-elle quatre ans après, “je travaille dans un lieu chargé de 600 ans d’histoire et qui a inspiré des grands auteurs, c’est un vrai bonheur”.
Mélody, elle, a débarqué à Londres en septembre 2012, accompagnée de son petit ami. Elle occupe alors un poste d’assistante de langue en français dans une école de Chiswick. “Mon copain faisait en parallèle son doctorat à l’Imperial College”, précise la Française. Après ses huit mois de contrat au sein de l’établissement scolaire, elle décide de reprendre ses études à distance tout en travaillant dans une école anglaise, dans le domaine administratif. Puis, elle enchaîne avec un master Français Langue Étrangère, tout en assurant une mission de travail pour l’Alliance française de Londres. Alors que son copain finit son doctorat et est à la recherche d’un travail, le référendum sur le Brexit va bousculer leur projet. “On s’est posé la question de rentrer”, raconte Mélody. Mais leur vie à Londres leur plaît. “Le Brexit nous a vraiment mis un coup, on ne s’y attendait pas du tout”, commente la jeune femme, “on s’est dit : “ils ne veulent plus de nous” et on s’est senti rapidement moins intégré alors qu’on s’était toujours senti chez nous”.
Finalement, ils partiront… non pas pour la France, mais la Corée du Sud, où ils s’y installent 18 mois. “On a vraiment beaucoup aimé le pays, mais socialement et culturellement tout est différent”. Surtout, c’est loin. Alors le couple rentre en France, le temps de se marier. Puis reprend la direction de l’Angleterre. “On aime le fait que les gens soient ouverts d’esprit, et puis on voulait être proche de nos parents”. Londres est donc la meilleure option. “On habite à 30 minutes de l’aéroport de Stansted, on peut aller directement à Tours et faire des séjours express. C’est vraiment un grand avantage”.
Cela fera 24 ans pour Virginie en septembre prochain. C’est en 2000 que la Française pose ses valises dans la banlieue de Londres. “J’ai toujours adoré le Royaume-Uni et sa culture”. Au point qu’elle hésite entre une carrière de professeur d’anglais ou de psychologue. Alors elle décide de partir vivre quelques mois en Angleterre. “À l’époque tout était plus facile, on pouvait déménager là-bas sans rien en poche, faire des allers-retours entre la France et le Royaume-Uni…” Alors elle s’installe d’abord comme au pair puis comme assistante de langue en français. Ce qui lui fait dire qu’elle n’a aucunement envie d’enseigner. Alors, et parce que Londres le permet, Virginie se dirige vers le marketing. “Cela m’a tout de suite plu et j’ai gravi petit à petit les échelons”. Aujourd’hui, à 43 ans, elle est senior manager dans une entreprise du côté d’Oxford, alors même que des amis du même âge en France galèrent à occuper des postes de ce niveau.
Parallèlement à son ascension professionnelle, elle rencontre un Britannique, qui lui donne envie de rester un peu plus longtemps. Puis, elle se marie, donne naissance à sa fille. Virginie se dit se sentir “plus britannique que française”, bien que son accent français lui colle à la peau. A la maison, la famille utilise les deux langues, même si l’anglais prime dans la gestion de la vie quotidienne.
Jess Baudet, qui vit son rêve à Oxford, n’a jamais regretté son choix de rester, même si le Brexit et la pandémie ont été deux moments symboliques où elle s’est demandée si cela ne valait pas la peine de rentrer en France. “Mais pourquoi faire ? Pour repartir encore de zéro ?”. Aujourd’hui bien installée dans sa vie et dans sa ville, la guide d’Oxford se dit “heureuse”. Et même si cela veut dire louper certains événements familiaux ou ne pas voir grandir sa nièce. “C’est sûr, c’est un peu triste, mais l’Angleterre reste tellement proche de la Bretagne. Je suis plus près que si j’habitais Marseille”, rit-elle, “et puis, mes parents comprennent pourquoi je veux rester. Ici, les gens sont accueillants, ouverts”.
L’ouverture et la tolérance c’est aussi ce qu’apprécient Mélody et son mari, qui viennent d’acheter une maison et pensent à demander la nationalité britannique. “On ne pense même pas à rentrer en France”, lance la jeune femme, “d’autant plus avec les tensions, le racisme qui règnent actuellement… Nous n’avons jamais accepté ce genre de discours. Cela ne veut pas dire que ça n’existe pas au Royaume-Uni, mais ici ils sont moins démonstratifs. Je n’ai jamais vu des gens en Angleterre parler aussi ouvertement que les Français le font aujourd’hui”. Le couple est donc “parti pour rester”. “Tant que cela se passe bien ici au niveau de nos travails, il n’y a pas de raison d’envisager un retour”.
La seule fois où il s’est vraiment posé la question de rentrer pour Christian Michel, c’est pendant la crise sanitaire. Mais son activité est très vite repartie après la pandémie. Sauf événement majeur, dit-il, il ne rentrerait donc pour rien au monde, tant il aime la diversité culturelle et la richesse artistique de la ville. Il pense peut-être un jour demander sa citoyenneté britannique pour lui permettre d’aller et venir à son gré, d’autant qu’il explique qu’il prendra sans hésiter sa retraite en France, où “l’environnement est plus rassurant”. Il confie qu’il a quand même une petite appréhension du retour. “Les relations ont beaucoup changé, les gens font leur vie, des gens ont disparu. Et puis, il y a cette question : “où se réinstaller ?””. C’est certain, il voudra retrouver une ville à dimension internationale, où il y a du brassage.
Si Virginie retourne en France chaque été, pour quatre semaines, afin que sa fille, aujourd’hui âgée de 7 ans, puisse voir ses grands-parents, elle ne souhaite pas, elle non plus, rentrer définitivement de l’autre côté de la Manche. Même si cela lui effleure de temps à autre l’esprit. “Par deux fois, j’ai été tentée : après le référendum sur le Brexit et pendant la pandémie, car je n’avais pas pu voir ma famille pendant trois ans et cela a été très dur”. Et si la question du retour revient parfois sur la table, c’est davantage à cause de la hausse du coût de la vie et de ses parents qu’elle voit vieillir de loin. “Mais je me demande aussi si, après 20 ans hors de France, cela me plairait d’y vivre à nouveau. On verra d’ici les dix prochaines années”. Pour le moment, le fait de vivre à l’étranger sans être loin de la France lui paraît encore un bon compromis.