Depuis quelques années, les droits des personnes transgenres font l’objet de débats intenses dans de nombreux pays occidentaux. Le 16 avril dernier, la Cour suprême du Royaume-Uni a d’ailleurs rendu une décision historique interprétant le terme “sexe” dans l’Equality Act 2010 comme exclusivement lié au sexe biologique assigné à la naissance.
Une décision qui alarme les associations de défense des droits des personnes transgenres, dont l’association française Homosexualités et Socialismes HES. Cette dernière s’inquiète notamment pour les ressortissants installés au Royaume-Uni. “Cette décision marque un tournant régressif en matière de droits des personnes trans. La Cour exclut explicitement les personnes trans — y compris celles disposant d’un certificat de reconnaissance de genre — de la pleine reconnaissance légale de leur identité”, explique Jean-Philippe Berteau, délégué des Français de l’étranger au sein de l’association HES.
En France, “depuis 2016, il est possible de modifier la mention du sexe à l’état civil sans avoir à prouver une opération ou un traitement médical, comme l’a illustré le cas de la militante Océan, qui a obtenu ce changement en 2019 sur simple déclaration et témoignages”, précise le responsable. Cela signifie donc que la décision de la Cour suprême britannique complique encore plus la situation d’un ressortissant(e) français(e) vivant au Royaume-Uni. “Un changement de genre reconnu en France peut ne pas être reconnu sur le sol britannique”, explique le délégué. Par exemple, une étudiante trans française venue faire ses études à Londres pourrait être contrainte de présenter des papiers ne correspondant pas à son genre, voire se voir refuser l’accès à des logements universitaires ou à des compétitions sportives, à moins de satisfaire à des critères médicaux stricts imposés par le Royaume-Uni.
Même si la Cour suprême assure que ce jugement ne diminue pas les protections dont bénéficient les personnes transgenres, cette décision affecte leur droit à la sécurité et à la dignité dans la vie quotidienne. “L’interprétation restrictive de la loi permet désormais d’exclure les personnes trans des espaces genrés tels que toilettes, dortoirs, vestiaires, écoles ou compétitions sportives sans obligation de justification”, assure Jean-Philippe Berteau. La juge Victoria McCloud, première juge transgenre au Royaume-Uni, admet elle-même ne plus savoir quel espace public utiliser en toute sécurité. Le 29 avril, elle a d’ailleurs annoncé poursuivre le Royaume-Uni devant la Cour européenne des droits de l’Homme à cause de cette décision.
“Ce climat d’hostilité et d’insécurité peut non seulement inciter des personnes trans françaises à quitter le pays, mais aussi dissuader d’autres de s’y installer, notamment les étudiant(e)s, professionnel(le)s ou artistes français(es)”, lance Jean-Philippe Berteau. Les personnes transgenres binationales sont également touchées et peuvent se retrouver piégées entre deux cadres législatifs opposés. “Reconnues légalement dans leur pays d’origine, mais marginalisées dans leur pays de résidence, ce qui complique gravement l’accès à des droits fondamentaux tels que la santé, le logement ou l’emploi”, ajoute le délégué.
Mais depuis cette décision, de nouvelles décisions restrictives s’ajoutent. Lundi 28 avril, le Service national de santé (NHS), qui avait déjà en mars 2024 interdit les bloqueurs de puberté pour les moins de 18 ans souffrant de dysphorie de genre, a mis en place de nouvelles règles. “Tous les enfants qui fréquentent les services de genre du NHS devraient bénéficier d’un dépistage des troubles du développement neurologique”. Un dépistage concernant notamment l’autisme et le TDAH, trouble du déficit de l’attention et de l’hyperactivité.
Quelques jours plus tôt, vendredi 25 avril, la Commission pour l’égalité et les droits de l’homme (EHRC) abonde dans le sens de la Cour suprême. L’organisme de surveillance britannique mentionne désormais dans ses textes qu’une “femme transgenre est un homme biologique et un homme transgenre est une femme biologique au regard de la loi”.
L’EHRC estime ainsi que les femmes transgenres “ne devraient pas être autorisées à utiliser les services réservés aux femmes dans les lieux publics”, précisant que cela s’applique également aux hommes transgenres. De plus, les clubs sportifs ou associations de plus de 25 personnes sont “autorisés à être exclusivement réservés aux hommes ou aux femmes biologiques”. Pour ne pas laisser les personnes trans sans installation, l’organisme préconise simplement l’ajout de toilettes mixtes.
Plusieurs responsables politiques, comme Kemi Badenoch, chef de l’opposition conservatrice, remettent publiquement en question la légitimité même de l’identité de genre.
Ce débat sur l’interprétation de la loi britannique sur l’Equality Act 2010 datait de 2018, opposant le gouvernement écossais, fortement engagé en faveur des droits des personnes transgenres, et l’association “For Women Scotland” qui souhaite que la définition de la femme donnée par la loi sur l’égalité soit limitée aux personnes nées biologiquement de sexe féminin.
Après le rejet de deux tribunaux écossais en 2023, l’affaire a été portée devant la Cour suprême, qui s’est donc finalement rangée du côté de l’association. “Concrètement, là où la loi exigeait auparavant une justification solide pour restreindre l’accès des personnes trans aux espaces non mixtes, leur exclusion peut désormais se faire de manière préventive et généralisée”, précise Jean-Philippe Berteau.
Par ailleurs, en 2022, le gouvernement conservateur, alors au pouvoir, avait déjà bloqué le texte du gouvernement local d’Ecosse facilitant le changement de genre sans avis médical à partir de 16 ans.
Mais pour Jean-Philippe Berteau, même si la décision de la Cour suprême est pour le moment acté, elle s’inscrit tout de même en rupture avec la jurisprudence européenne. “L’arrêt Goodwin c. Royaume-Uni rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme établit que la reconnaissance légale du genre est essentielle à la dignité et à la vie privée des personnes trans”.