Si le Brexit est passé par là, Londres reste une ville attractive aux yeux de beaucoup de Français qui rêvent d’y travailler. Et parmi les corporations intéressées par la capitale anglaise : le secteur médical. Certes, les choses se sont donc quelque peu compliquées depuis le changement des règles migratoires le 1er janvier 2021. Mais certains professionnels sont tout de même parvenus à obtenir un visa de travail. Patience, détermination et moyens financiers restent sans conteste les clés de la réussite.
Michel Karouni en sait quelque chose. Arrivé à Londres avec sa famille fin décembre, ce dentiste français a mis plusieurs mois à pouvoir obtenir son visa de travail. “J’avais envie de m’installer ici car le Royaume-Uni fait partie avec la France, l’Allemagne et la Suisse des pays proposant le meilleur de la dentisterie”, se justifie le trentenaire. A la tête de deux cabinets au Liban, le pays où il a grandi, Michel Karouni a donc entamé les démarches pour sa venue à Londres en 2020. “Je savais qu’Harley Street était le lieu où il fallait s’installer”, poursuit-il.
Il contacte donc le prestigieux cabinet ‘Harley Street Dental Studio’, qui propose de nombreux services dans une structure à la pointe des dernières technologies. “J’ai eu plusieurs échanges avec le directeur, qui a aimé mon travail, après avoir vu mon portfolio et les cas sur lesquels j’avais travaillé”. Car Michel Karouni est un spécialiste de l’implantologie et la parodontologie. “Il m’a dit qu’il avait un poste vacant dans sa clinique”. Le dentiste saute donc sur l’opportunité, d’autant plus qu’il sera employé, ce qui va faciliter en soi sa venue à Londres.
En effet, c’est la clinique qui va le sponsoriser pour son visa. Malgré tout, le Français s’est aussi fait accompagner par un avocat spécialisé. “Je pense que c’est indispensable maintenant quand on veut venir s’installer au Royaume-Uni, ça facilite vraiment la tâche, surtout quand on a une famille”. Cependant, cela a un coût. “Non seulement, cela prend du temps, j’ai dû attendre près de quatre mois pour que tout soit validé et j’ai dû passer des tests d’anglais, mais entre l’avocat et les démarches, cela m’a coûté £6,000 pour un visa de trois ans”. Et il a aussi fallu payer pour son épouse et leur petite fille. “Mais je le prends comme un investissement financier utile”.
Juliette Idoux estime également que, malgré la lourdeur administrative et le coût qu’une demande de visa demande, cela en vaut la peine. Mais contrairement à Michel Karouni, la jeune femme de 28 ans est passée par un autre chemin pour pouvoir venir exercer à Londres : le visa conjoint. Car son mari, détenteur d’un statut de résident, était déjà installé dans la capitale anglaise. Mais il lui aura tout de même fallu attendre cinq mois pour que tout soit validé et cela lui a coûté £5,000. “Il faut vraiment être motivé et surtout patient maintenant que le Brexit est passé”, reconnaît la médecin.
Si elle a souhaité venir travailler à Londres, c’est pour plusieurs raisons. D’abord parce que son mari s’y trouve – “mais même sans ça, je serais venue” -, mais aussi parce qu’elle avait envie de revenir vivre dans la ville où elle a grandi jusqu’à ses 18 ans. “Je suis ensuite rentrée en France pour faire des études de médecine”, raconte Juliette Idoux. A l’époque, elle n’avait jamais pensé à demander la nationalité britannique, le Brexit étant inimaginable il y a encore 6 ans. “Mais j’avais toujours eu cette idée et cette envie de revenir à Londres pour exercer, car le système anglais est plus ouvert à l’accueil des médecins internationaux”. Avec la sortie du pays de l’Union européenne, les choses se sont donc bien compliquées. “Il faut vraiment avoir un dossier solide”, lance la jeune femme, qui a été diplômée en 2021, “les démarches longues et lourdes peuvent vite décourager”.
Mais Juliette Idoux a tenu bon pendant ces cinq mois. “L’important c’est de faire le premier pas”. Patiente, elle a dû l’être également car elle n’a pas pu voir son mari pendant de longues semaines. “Il faut envoyer son passeport pour la demande de visa et donc je n’ai pas pu me rendre à Londres”. Effectivement depuis le 1er octobre dernier, les voyageurs se rendant au Royaume-Uni doivent présenter impérativement un passeport, la carte d’identité n’étant plus valide pour passer la frontière. “J’aurais pu payer plus cher pour accélérer le processus, mais à quoi bon. En plus, si on fait ce choix, on ne peut pas revenir en arrière”.
Finalement, les choses se sont bien passées pour la Française. Même elle aura encore dû faire preuve de patience après son arrivée. “Avant le Brexit, il était très simple de s’inscrire au General Medical Council (GMC), l’ordre des médecins au Royaume-Uni. Il suffisait d’envoyer son diplôme traduit et d’attendre la validation”, confie Juliette Idoux, “maintenant, le pays sous-traite à une entreprise privée américaine. Cela prend donc plus de temps et ça coûte cher”.
La médecin a entamé les démarches en février 2021 et n’a obtenu son inscription qu’en novembre dernier. Puis, elle a attendu d’être enregistrée dans le système des General Praticians (GP). Aujourd’hui, elle ne regrette rien, même si, raconte-t-elle, elle a connu des moments difficiles. Dorénavant, elle propose ses services au sein du Medicare Français de Londres, à la fois en tant que généraliste mais aussi pour des soins médicaux esthétiques. “C’était l’idéal pour moi de m’installer au sein d’une clinique avec d’autres professionnels pour ne pas me retrouver seule”.
Le docteur Mathilde Konczynski, directrice du Medicare Français, se dit justement ravie de pouvoir accueillir de nouveaux praticiens au sein de sa clinique. D’ailleurs, les médecins français intéressés par une installation à Londres sont nombreux et le Brexit n’a pas freiné leur intérêt. “J’ai des contacts réguliers avec des professionnels qui ont envie de venir ici”, confirme la directrice, “ils cherchent des renseignements sur comment s’inscrire à l’ordre des médecins ou des dentistes, ils ont des questions sur une éventuelle expatriation”.
Pour elle, la différence majeure qu’a apportée le Brexit, c’est que maintenant les médecins doivent vraiment être déterminés pour venir. “Avant, un professionnel pouvait faire des allers-retours sans problème entre la France et Londres. Par exemple, avoir son cabinet à Paris et venir travailler une fois par semaine à Londres. Puis progressivement, finir par s’installer ici”. Maintenant, c’est “quasiment impossible”, ajoute Mathilde Konczynski. Seuls les détenteurs d’un pre-settled ou d’un settled status peuvent le faire.
Mais pour la Française, pour celles et ceux “déterminés” à venir, il existe des solutions. Rejoindre son conjoint déjà présent à Londres, comme l’a fait Juliette Idoux, en est une. “Il y aussi les étudiants en post-doc qui ont le droit ensuite de rester un certain temps ou encore avoir un conjoint, qui ne travaille pas dans le médical, qui trouve en premier un emploi, et le suivre ensuite en se rattachant à son visa. Des passerelles existent et il est toujours possible de trouver des options”, pense-t-elle. Puis, elle ajoute : “Il y a bien des médecins qui viennent des Etats-Unis ou d’Asie. Il suffit juste de savoir comment se lancer dans la procédure et ne pas avoir peur”.
A la tête d’une clinique francophone, Mathilde Konczynski ne se dit pas non plus inquiète de voir baisser le nombre de praticiens français. “Il y a une forte communauté française et francophone ici, donc cela continuera à donner envie à des médecins de venir s’installer”. La directrice pense que les choses vont finir par se tasser. “Il faut juste être patient”.