En avril, elle comparaîtra devant un juge. Sa faute ? S’être enchaînée à un tube en métal pour bloquer une route dans le centre de Londres. Mais Pia Bastide estime qu’elle n’a rien fait de mal, bien au contraire. “Personne n’aura de futur si on n’agit pas maintenant”, confie la Française de 28 ans, “et si les actions auxquelles je participe ont des conséquences sur mon casier judiciaire, cela ne me semble pas si important quand je mets tout cela dans la balance”. C’est pour cela que la jeune femme a rejoint en août dernier le mouvement Just Stop Oil, dont l’objectif est de convaincre les politiques de ne plus autoriser de nouvelles extractions de pétrole et de gas, notamment dans la mer du Nord.
Déjà très ‘conscientisée’ sur les grandes questions sociétales et environnementales depuis l’âge de 14 ans, Pia Bastide voulait aller plus loin dans son activisme. “Je participais à des manifestations ou je signais des pétitions, mais je me suis rendue compte que cela n’était plus suffisant”. Le déclic s’est fait pour elle en juillet dernier. Canicule, incendies… Du jamais vu à Londres, elle qui y vit depuis onze ans. Pia Bastide est née à la Réunion et a grandi à Montréal. Elle décide de venir au Royaume-Uni en 2011 pour ses études, puis la Française décide d’y faire sa vie. “L’été 2022 à Londres m’a fait penser à celui qu’on avait vécu en France en 2003. Vingt ans après, les choses ne font finalement qu’empirer”, lance la jeune femme.
Elle assiste alors à une réunion de Just Stop Oil, mouvement qu’elle a connu à travers des prospectus. Les militants y abordent alors l’aspect social et économique du réchauffement climatique, et certains témoignent de leurs actions, mais aussi de leurs conséquences : arrestations, amendes, tribunal… De quoi rassurer la jeune femme, qui en bonne citoyenne, n’avait jamais défié les lois. “Cette conférence a été une révélation, pour moi ce n’était plus un choix mais une évidence de rejoindre le mouvement. Je voulais devenir actrice du changement. Ce qui m’a aussi convaincue, c’est que Just Stop Oil est une organisation non violente et a un objectif bien précis”.
Employée d’Amazon jusqu’en septembre dernier, elle démissionne. “Je voyais bien que mon travail ne contribuait pas à rendre le monde meilleur, bien au contraire”. Pia Bastide, qui vit désormais sur ses économies, est alors formée par Just Stop Oil, on lui explique comment réagir face à la police – “toujours se protéger mais pas se défendre, sinon cela pourrait être perçu comme une attaque” – mais aussi face au public. “C’est cela qui me faisait le plus peur”, avoue-t-elle. La Française participe alors à sa première action le 1er octobre dernier pour un blocage sur Piccadilly Circus. “Mon cœur battait très fort. Je n’avais pas réussi à manger ou dormir la veille”, se souvient la jeune femme. Mais grâce au soutien de l’organisation et de ses collègues militants, elle se sent rassurée. “Puis quand je me suis assise sur la route, j’ai ressenti un sentiment de calme, je savais au fond de moi que je ne faisais rien de mal”.
Depuis, Pia Bastide a participé à trois autres actions. “Contrairement à certains collègues qui ont été traînés au sol, je n’ai jamais été agressée physiquement, j’ai seulement reçu des attaques verbales”, confie la Française, qui dit cependant comprendre la colère des gens. “J’entends la frustration, les gens travaillent beaucoup, sont fatigués et peinent à payer leurs factures. Mais ils devraient diriger leur colère vers les politiques qui n’agissent pas. Car ce que nous faisons, nous ne le faisons pas que pour nous, mais pour tout le monde et surtout pour la planète”. La Française rappelle par exemple que lorsque le mouvement Insulate Britain, qui milite pour imposer une meilleure isolation des logements, avait bloqué la M25 l’an dernier, certains les prenaient pour de simples agitateurs. Pourtant un an plus tard, en pleine crise énergétique, leur action prend tout son sens.
La Française regrette d’ailleurs que certains tentent de nourrir la colère du public contre des mouvements comme ceux de Just Stop Oil. Car pour elle, des actions comme celle de lancer de la soupe sur des tableaux de maîtres – protégés par des vitres, rappelle-t-elle -, quitte à soulever l’indignation populaire, en valent la peine. “Cela a fait la ‘une’ des médias et du coup et permet aux gens de réfléchir sur le sens de nos actions”, explique Pia Bastide, “pendant la pandémie, les médias parlaient tous les jours de la Covid afin de sensibiliser et informer les gens. Alors pourquoi ne pas faire de même avec le réchauffement climatique?”. Et si cela doit passer par des opérations ‘coup de poing’ pour que les journaux, radios et télévisions s’intéressent au fond, la Française n’en demande pas moins. Avec cet objectif de “mettre la pression sur les politiques qui demanderont des comptes aux entreprises”, car, souligne la Française, “ce que l’on vit et ce que l’on va vivre dans les prochaines années est un problème monumental qui concerne tout le monde”.
Après avoir participé à quatre actions en un mois, Pia Bastide fait une pause. “Je me suis fait arrêter trois fois, et je suis convoquée au tribunal en avril. Si la police m’interpelle à nouveau, les choses pourraient se compliquer”, confie la Française. Lors de sa dernière participation à une action en novembre, elle a en effet passé la nuit dans une cellule pendant près de 48 heures. “J’ai pu bouquiner un peu, car j’avais amené un livre avec moi”, rit-elle. Le lundi matin, elle a été présentée à un juge et a plaidé “non coupable”. Un moment dont elle se souviendra toute sa vie. “C’est tout de même incroyable d’avoir besoin d’une massue pour écraser une mouche”, lance-t-elle, faisant référence aux mesures “disproportionnées” prises contre les activistes et militants comme elle. “Parce que j’ai bloqué, de manière pacifiste et pendant une heure, une route de Londres, je finis en cellule et je dois comparaître au tribunal”, s’étonne encore la Française. Même si elle se met un peu en retrait en attendant son jugement, elle continue son activisme en collant des affiches et distribuant des prospectus. “C’est un marathon, pas un sprint”, souligne-t-elle.
La jeune femme ne veut en aucun cas stopper son engagement, même si sa mère a eu des réserves au départ. “Mais je lui ai expliqué que si nous avions été dans les années 40, j’aurais voulu faire partie de la Résistance”. Même si Pia Bastide espère que les lignes bougeront vite, elle reste lucide. “Que toutes ces actions débouchent ou non sur quelque chose, je veux savoir que j’ai été du bon côté de l’Histoire”, répète-t-elle, “je me bats car je veux que le gouvernement du pays où j’ai maintenant mes racines donne l’exemple”.
Photos fournies par Pia Bastide