Ils sont Français, ont vécu des dizaines d’années au Royaume-Uni, mais ont décidé de quitter leur vie pour retourner vivre dans leur pays d’origine pour l’unique raison du Brexit. Ce phénomène, qui touche non seulement les expatriés français mais aussi ceux issus des pays de l’Union européenne, a un nom : “le Brexodus”.
Murielle fait partie de ces exilés. Elle est rentrée en France fin septembre 2017, après dix ans de vie britannique entre Londres et Canterbury. C’est suite à une période difficile dans sa vie qu’elle s’est décidée à s’installer en Angleterre. “J’ai eu une longue maladie et passé 40 ans en France, les choses sont plus difficiles en termes de recherche de travail”, confie Murielle. Marre de cette mentalité française, elle se réfugie de l’autre côté de la Manche réputée pour être “plus tolérante” et “ouverte”. Et puis, sa fille y vivait déjà, raison supplémentaire pour quitter l’Hexagone.
Elle décroche un poste dans une entreprise belge, qui après le référendum prendra la décision de rentrer dans le Plat Pays. “C’est là que les problèmes ont commencé”. Murielle perd son travail et malgré les 30 CV envoyés par semaine, elle ne retrouve aucun emploi. “J’ai vécu sur mes économies pendant quelques temps, puis j’ai demandé des aides sociales”. Tout se complique. Le Home Office – ministère de l’Intérieur, NDLR – lui explique qu’elle va perdre ses droits de résider dans le pays. “Une première claque”, résume Murielle, qui se retrouve alors dans le collimateur de l’administration britannique. Elle contacte son député local pour que ses droits lui soient restitués.
Habitante du Kent, du côté de Canterbury, elle ressent rapidement le changement suite au référendum et au Brexit. “C’est le berceau de Nigel Farage (leader du UKIP, qui a milité pour la sortie du pays de l’Union européenne). Je suis devenue d’un coup une étrangère”. Les insultes fusent. Quand elle témoigne de son vécu dans la presse à l’époque, elle reçoit des menaces.
Mais pourquoi ne pas avoir demandé la nationalité après tant d’années au Royaume-Uni? “Il fallait remplir 85 pages pour demander dans un premier temps la résidence permanente, mais je n’avais pas d’emploi”. Murielle explique qu’elle sombre rapidement dans la dépression suite à ces épisodes. “J’avais même des amis que je connaissais depuis des années qui m’ont avoué qu’ils avaient voté pour quitter l’Union européenne, expliquant qu’ils estimaient qu’il y avait trop d’étrangers dans le pays”. Des amis, elle en aura perdu sur le chemin du Brexit. “Ce pays, qui était si tolérant, est devenu un environnement hostile pour des gens comme moi. Ce n’est plus le pays dont j’étais tombée amoureuse”.
La Française réfléchit pendant des mois mais finalement décide qu’elle ne souhaite “plus rester dans un pays où (je suis) considérée comme une citoyenne de seconde classe”. Le Royaume-Uni lui a manqué “pendant des mois”, surtout que le retour en France a été difficile. “Je n’étais éligible à aucun logement social puisque sans avis d’imposition, j’ai attendu quatre mois pour avoir à nouveau un numéro de sécurité sociale. J’étais discriminée en Angleterre pour être Française et en France j’étais considérée comme une étrangère”. Pas simple.
Aujourd’hui, la Française regrette que les médias français parlent peu de l’impact du Brexit sur les ressortissants. “Je crois que personne n’a conscience de ce qui se passe et de ce qui va se passer”. Pareil de l’autre côté de la Manche. “Si les gens croient que tout va être formidable après le Brexit en mars 2019, ils se trompent. Si vous gagnez bien votre vie, que cela fait plus de 5 ans que vous êtes installés, vous n’aurez certainement pas de soucis majeurs. Vous serez simplement considérés car vous payerez des taxes”.
Cécile, elle, a vécu 11 ans dans l’Essex, région située dans le nord-est de Londres. Arrivée en 2007 pour suivre son mari, la Française a quitté la France il y a bien longtemps. Le couple a vécu 10 ans en Irlande – où il a eu ses deux premiers enfants – avant de poser ses valises dans la capitale anglaise. Le Brexit, elle l’a aussi très mal vécu dans sa ville de Colchester. Cette professeur de français en école primaire a essuyé des insultes de la part de mamans dès le lendemain du référendum. “Ce vote a libéré la parole, cela a été pour moi un choc violent, je ne me serais jamais attendue à cela alors que j’ai vécu dix ans dans cette communauté”.
En janvier, elle a donc décidé de rentrer en France. “Ce n’est pas un environnement où on peut élever ses enfants”. Des enfants, qui ont eux aussi connus des agressions. “J’ai 5 enfants, dont trois sont nés en Angleterre”. Sa fille de 10 ans n’a plus été invitée aux anniversaires des copains. Comment l’a-t-elle vécu alors ? “Elle m’a juste dit que ces camarades n’avaient pas de chance d’avoir des parents racistes. Je ne trouve pas ça normal qu’à cet âge-là on voit la vie ainsi, ça m’a fait beaucoup de peine”. Cécile se dit déçue qu’aucune personne de la communauté n’ait demandé pourquoi la famille quittait ainsi le pays. “C’est fou cette apathie, il n’y a eu aucune réaction, je ne pensais pas cela de la société britannique”.
Le couple a mis un an et demi à préparer son retour en France, mais avec cette déception de revenir au pays qu’il n’avait jamais envisagé de retrouver un jour. “Quand on est parti il y a 21 ans, on n’avait pas l’intention de revenir en France, mais aujourd’hui on trouve que c’est quand même un soulagement même si l’Angleterre nous manque. Mais certainement pas le Brexit”. Y revenir un jour ? “Oui, mais pas maintenant, on a besoin de faire notre deuil”. Côté France, les choses n’ont pas été simples non plus. “Ici, personne ne nous croit quand on leur raconte ce qui se passe, les gens pensent qu’on exagère la situation”.
Les cas de Murielle et Cécile ne sont pas isolés, des centaines de témoignages ont été compilés dans un livre, In Limbo, co-rédigé par une Française, Véronique David Martin. De nombreuses histoires sont également partagées sur le forum Facebook du mouvement The 3 Million qui milite pour la sauvegarde des droits des citoyens européens vivant au Royaume-Uni dans le cadre du Brexit.
On ne connaît pas le nombre précis de Français rentrés au pays depuis juin 2016, d’ailleurs il n’existe aucune base de données sur le retour des expatriés d’une manière générale, comme l’expliquait déjà dans un rapport la sénatrice des Français de l’étranger, Hélène Conway-Mouret. Les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne sont pour l’heure au point mort, alors que la date butoir de fin octobre approche. La Grande-Bretagne se prépare même à un non-deal, qui aurait de lourdes conséquences sur la vie des Britanniques mais ausi des ressortissants des 27 pays de l’UE.
3 Responses
Les principaux responsables de cette situation sont les media et en particulier les tabloïds qui ‘montent’ les gens les uns contre les autres et abusent de la liberté de la presse.
La gratuité des soins en France n’est donné qu’avec beaucoup de conditions. En Angleterre, tout le monde peut l’obtenir sans problèmes.
Les Anglais ont trouvé un moyen de sélectionner les demandeurs de la nationalité britanniques. L’année dernière ça coûtait £900, cette année, £1790. Pour la nationalité Française, c’est 58 €.
Il me semble que la plupart de ces temoignages proviennent du sud est de l’Angleterre. J’habite dans le nord- est et il n’a pas cet environnement hostile dont vous parlez. En fait je connais beaucoup de francophiles ‘remainers’. Je me demande si tous ces commentaires négatifs ne sont pas exagérés par la presse.
A Monique Todd
Je suis tout à fait d’accord avec vous car je vis dans le sud est de l’Angleterre. J’ai aussi vécu un an à Leeds et la différence de mentalité est énorme.