Le “flou”, voilà l’expression qui revient le plus souvent lorsqu’il est question du Brexit. Depuis la première échéance du divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, initialement fixée au 29 mars 2019, des rebondissements de toute nature n’ont cessé de se succéder. Mais au-delà de la nouvelle date butoir du 31 janvier 2020, quelles pourront être les conséquences pour les Français de Grande-Bretagne ? Une question que certains d’entre eux ont fait le choix de ne plus se poser en rentrant en France ou en s’expatriant ailleurs. Ils rejoignent ainsi le mouvement de Brexodus déjà entamé depuis le résultat du référendum de juin 2016.
Si les conséquences des décisions politiques prises depuis le référendum de juin 2016 restent difficilement quantifiables, la baisse du pouvoir d’achat des expatriés est quant à elle indéniable. En l’espace de trois ans, la livre sterling a en effet décroché d’environ 18%, entraînant de nombreuses répercussions sur l’économie du pays.
Sajid (qui n’a pas souhaité donner son nom) scrute ainsi chaque mois le comportement de la livre vis-à-vis de l’euro. Et pour cause, le Français de 28 ans spécialisé dans l’analyse commerciale et le big data constate, impuissant, l’augmentation des mensualités de son prêt étudiant contracté en monnaie européenne. “Ma principale crainte sur les trois à six mois à venir serait que le pound tombe au même niveau que l’euro ce qui me coûterait 3000€ en plus par an par rapport à maintenant”, détaille-t-il. Une situation délicate – d’autant que la compagne du jeune homme rencontre les même difficultés – qui l’a conduit à accélérer ses démarches de départ vers les États-Unis ou bien la Suisse, l’avenir décidera. Par ailleurs, ce contexte économique et professionnel défavorable a conduit le couple à reporter – temporairement – son projet de fonder une famille.
L’instabilité financière a en outre des répercussions sur la vitalité du marché de l’emploi britannique. La tendance est en effet au ralentissement, notamment dans le secteur de l’hôtellerie-restauration où le nombre de ressortissants européens oscille entre 10 et 15%. Au vu de la baisse importante de l’immigration européenne, la perspective d’une pénurie de main d’œuvre n’est donc pas à exclure. Un constat qui reste tout de même à nuancer au sujet des Français. En effet, le dernier rapport du ministère des Affaires étrangères révélait que leur nombre a diminué de 0.88% au Royaume-Uni, ce qui est sensiblement moins que la moyenne mondiale des Français résidants à l’étranger qui a elle reculé de 1.05%.
Arrivé dans la capitale anglaise en décembre 2018 pour profiter d’un marché de l’emploi plus dynamique qu’en France, Sébastien Klifa a finalement revu sa copie. L’appel d’un salaire “plus confortable” que dans l’Hexagone n’a finalement pas suffit à retenir ce designer digital de 39 ans qui a opté pour la “sécurité” en regagnant Bordeaux – sa ville natale – le 31 octobre dernier. La raison ? “A Londres c’est devenu impossible d’investir”, explique-t-il avant d’enchérir “arrivé à un stade, je n’avais plus envie de payer 1.500 pounds par mois pour vivre dans un petit appartement”.
Mais ce point de vue est également partagé par de nombreux chefs d’entreprise. Si l’on en croit le rapport rendu en début d’année par le Cercle d’outre-Manche (CoM), un think tank formé de Français et Britanniques, 42% des patrons tricolores de petites et moyennes entreprises basées au Royaume-Uni chercheraient à relocaliser leur activité dans un autre pays de l’Union européenne. C’est notamment le cas de Matthieu Prévost qui cherche désespérément à vendre son café de Kensington. “Les potentiels acquéreurs ne souhaitent pas investir à l’heure actuelle et c’est un grand problème pour moi”, confiait-il à TF1 en octobre. Plus inquiétant encore, de grandes entreprises ont également tourné le dos à la Grande-Bretagne. En témoigne la fermeture du site britannique de la marque Yves Rocher en mars dernier, ou plus récemment l’arrêt des commandes sur Veepee – anciennement “Ventes privées” – pour cause “d’incertitudes économiques”.
Outre les situations objectives auxquelles font face les ressortissants français, un sentiment de laissé-pour-compte prédomine chez les personnes interrogées. “Je trouve que rien n’a été fait au Royaume-Uni pour me garder”, déplore ainsi Sébastien Klifa. Ni lui ni Sajid n’ont d’ailleurs entamé les démarches nécessaires pour obtenir leur “(pre-)settled status”, alors même que ce titre permet aux Européens de conserver leurs droits une fois le Brexit entré en application. A cet égard, il est également intéressant de constater que seuls 90.000 des 150.000 Français établis sur le sol britannique ont réalisé la procédure.
“Ce n’est pas vraiment à cause du Brexit que je suis parti mais plutôt à cause du manque d’organisation et de communication”, se reprend finalement Sébastien Klifa avant de poursuivre, “je préférais largement être moins bien payé en France et pouvoir me projeter sur du long terme que de rester à Londres”. Si l’optimisme n’est pas de rigueur dans la capitale anglaise, d’autres régions du Royaume-Uni ont quant à elles fait le pari de s’adresser directement aux Européens pour les encourager à effectuer leurs démarches administratives. C’est notamment le cas en Écosse où la Première ministre, Nicola Sturgeon, a publiquement invité les ressortissants européens à rester au travers de spots vidéos postés sur les réseaux sociaux.