Et si la lutte contre le racisme passait par l’assiette ? Claire Sachiko Fourel y croit et c’est pourquoi elle vient de publier, avec son amie Lex Shu Chan, “Recipes against racism”, un livre regroupant 20 recettes de plats servis dans des restaurants asiatiques ou influencés par la culture asiatique et installés à Londres. Avec cet ouvrage, téléchargeable (pour le moment seulement en ligne), les deux jeunes femmes espèrent collecter £20,000, reversés entièrement à deux associations de lutte contre le racisme.
“Nous avons été horrifiées par la multiplication des crimes racistes envers les personnes d’apparence ethnique d’Asie de l’Est pendant la pandémie et nous voulions contribuer à la sensibilisation et au changement”, explique Claire Sachiko Fourel, qui a des origines japonaises. La jeune femme de 36 ans, née à Londres d’un père français et d’une mère nippo-américaine, considère que la rhétorique du “virus chinois” sans cesse répétée par Donald Trump l’an dernier a été l’une des principales raisons de cette flambée d’agressions.
L’association Stop Hate UK rapporte ainsi que le nombre de crimes haineux enregistrés envers les personnes d’apparence ethnique d’Asie de l’Est à Londres en mars 2020 était 2,73 fois supérieur au nombre signalé sur la même période en 2019. Soit une hausse de 173%. “J’ai même lu que cette augmentation serait de 300%”, ajoute la Franco-américaine. Et encore, dit-elle, ces statistiques ne prennent pas en compte les crimes racistes non dénoncés auprès des autorités.
Claire Sachiko Fourel et Lex Shu Chan ont d’ailleurs elles-mêmes été les victimes de propos racistes lors des premiers mois de la pandémie. “Certains nous interpellaient dans la rue pour nous faire des commentaires comme ‘rentrez chez vous’. C’était très violent”, se souvient la Franco-américaine, pour qui la lutte contre le racisme est “quelque chose de très profond et personnel”. “La famille de ma mère a été mis dans des camps aux Etats-Unis pendant la Seconde guerre mondiale, juste après Pearl Harbor”, raconte la jeune femme avant d’ajouter avec regret que peu de gens connaissent finalement ce pan de l’Histoire. La famille de sa mère avait alors tout perdu et quand elle est enfin parvenue à sortir de ces camps, “elle avait seulement 25 dollars en poche et a dû se débrouiller”.
Lutter contre les injustices fait aussi partie de l’ADN de Claire Sachiko Fourel, qui a grandi avec une mère qui a longtemps travaillé pour Amnesty International. “J’ai toujours baigné dans la lutte pour les droits de l’Homme, j’ai vite compris qu’une identité pouvait devenir une raison pour être attaqué par des gens”. C’est donc logiquement qu’elle s’est engagée dans des études de droit français et britannique, puis européen. Sa formation en tant que juriste l’amènera à travailler dans un cabinet d’avocats. Elle enchaîne ensuite sur un master en développement international, mais avant cela, elle part en Equateur où elle travaille pour une ONG spécialisée dans l’environnement et le droit des Indigènes. Après son diplôme, elle s’engage totalement dans la lutte pour les droits et amène son expertise à des organisations, aussi bien britanniques qu’internationales, qui défendent entre autres les droits des femmes ou des migrants (notamment à Calais)…
Avec son amie Lex Shu Chan, qu’elle a connue pendant ses études et qui est aussi juriste, elle a donc décidé d’agir cette fois-ci sur la lutte contre les crimes haineux. Si elles choisissent la forme d’un projet culinaire, c’est que pendant le premier confinement, la cuisine a été une sorte d’exutoire pour nombre de personnes. “La nourriture a été comme une source de réconfort. Cuisiner, expérimenter différentes cuisines et partager ses créations sur les réseaux sociaux étaient devenus importants pour beaucoup”, confie la Franco-américaine.
Alors prendre ce prétexte pour construire des ponts culturels et établir un dialogue entre les gens leur semblait intéressant. Elles ont alors contacté plusieurs restaurants, écoles de cuisine, traiteurs… situés un peu partout dans la capitale pour leur soumettre leur idée. “Beaucoup n’avaient pas vraiment le temps à l’époque car il y avait la gestion du confinement”, raconte Claire Sachiko Fourel. Elles parviennent cependant à séduire 20 restaurateurs, qui ont donc livré chacun la recette de l’un des plats emblématiques servi dans leur établissement.
Mais les deux amies n’ont pas voulu faire qu’un livre de cuisine. Avant chaque recette, il y a une page de présentation du restaurateur ou de la restauratrice et de la philosophie de son établissement. Elles ont reçu aussi beaucoup d’aide de gens, “et pas que des personnes de la communauté asiatique” précise la Franco-américaine, qui voulaient participer à ce projet en apportant leur savoir faire sur le design graphique ou les réseaux sociaux. Lancé fin avril dernier, le livre est donc téléchargeable au prix de £10 (mais les personnes peuvent donner plus si elles le souhaitent). “On va aussi regarder si on peut éventuellement faire une édition papier”, confie Claire Sachiko Fourel. 100% des recettes récoltées seront équitablement reversées à End The Virus of Racism et Stop Hate UK.